---Cinq semaines en Pays Wayana---
Chapitre 1: Antecume Pata : le rêve et la réalité
- Histoires d'Oloks et de Yoloks
Chapitre 2 : Encore plus au sud dans la forêt profonde
Chapitre 3: Kailawa le chamane
Chapitre 4 : Retour à une autre dimension
Nat les avais attendu toute la matinée sur le petit ponton de bois...de
plus en plus anxieux...
...et puis les deux pirogues sont
arrivées... !
au début il ne les reconnaissait pas car ils étaient vêtus "pas comme des indiens" selon lui... mais par la suite quand il furent plus près il s'exclama dans un cri de Joie
"- c'est bien eux !"
"...mais comme y sont pas chez eux y zon pas mis leur costume !..." ajouta-t-il
un peu déçu tout de même...
Igor approuva en saluant à sa façon les nouveaux venus... qui souriants et les gestes lents
accostèrent au "dégrad " ( embarcadère)
": Ipoc telma ! " ...."nous... Yepe"
( bonjour... on est des amis) s'empressa de dire Nat
deux mots qu'il avait du préparer depuis bien longtemps...... mais où les
avait-il appris ?
... puis trépignant et
riant il se mis à nous houspiller pour que nous nous mettions en route et
commencions à embarquer ...
Nous prîmes cependant le temps de recevoir les arrivants et de leur offrir une tasse de thé...
ils avaient 4 heures de pirogue dans les bras...
présentation générale.. .Pupoli , Etiplo , Alawa et
Kioupi tous des jeunes ados parlant bien le français ( une génération scolarisée par la république à Antecume
d'abord puis à Maripassoula.. .Kioupi ayant même été jusqu'à Kourou puis Cayenne
pour poursuivre des études...)
ils venaient nous demander humblement si nous voulions toujours faire
route avec eux jusqu'à Antecume pata
Bien sûr nous voulions toujours.. !
Nat s'était déjà embarqué depuis longtemps avec Igor à côté de lui quand nous chargeâmes
la pirogue et prîmes place dans l'autre... et c'est au moteur aussi que s'est faite la remontée du
Litani ( nom que prend le Maroni à partir de Maripasoula) après avoir signalé à la propriétaire du lieu que nous repasserions dans
un mois... ravis que nous étions de son accueil et de sa gentillesse
Les sauts sont encore plus sévères sur cette portion du fleuve...
alors... quelques sauts et 4 heures plus tard nous arrivions enfin...
Deux vues d'hélico empruntées sur le Net
Nat ayant
reconnu le lieu d'atterrissage mainte fois contemplé dans ses livres : une île
( un banc de sable en fait) de sable fin, un barrage de rochers plats ménageant une
grande surface pour la baignade et la pêche....
Là c'est lipo lipo ...et là Antecume pata... ! s'écria-t-il devant nos canotiers
a la fois surpris et
pliés en deux de rire
L' arrivée bien sûr ne passa pas inaperçue ... d'autant qu'elle était
prévue...
et puis à par des scientifiques , des reporters ou des fonctionnaires, peu de
gens passent içi depuis les limitations imposées pour protéger les " derniers
spécimens
amérindiens" de la civilisation voyeuriste et du tourisme...
prête à leur jeter
les
bananes ou les cacahuètes de la société matérialiste avancée pour les voir "
faire le beau"...
tout en se déculpabilisant et se rassurant soi même à
bon compte en se donnant des
"airs avantageusement protecteurs et autosatisfaits"...
...et en leur apportant des maladies virales qui depuis le contact avec les
blancs les déciment ...
Des gosses de loin nous aperçûmes du haut
de la terrasse de terre qui met le village à l'abri des inondations... et comme c'est les vacances plusieurs approchèrent en
petites
grappes à commencer par les plus petits... les plus délurés...
et puis ce fut le tour des adolescentes
et des jeunes femmes curieuses qui vinrent négligemment et en toute discrétion "jeter un oeil"...
puis
des ados...l'air faussement blazés... mine de rien... pour voir
Etiplo ( jeune fils du
Tamusi le grand chef) revint alors nous accueillir et
dans un français parfait nous
demander si nous avions fait bon voyage et avions besoin de quelque chose...
puis il nous emmena nous installer sous le "carbet des visiteurs" en bordure de plage
et nous précisa que son père allait venir nous saluer...
si on le voulait bien, lui et le chef du village ( André) nous
invitaient à manger ce soir sous le carbet de fête " le Tukusipan "[1] qui se
reconnaît bien avec sa forme en coupole, pour causer...et
organiser notre séjour...[2]
Un "palississi" ( un blanc) enseignant du CNRS sociologue spécialiste de
linguistique qui passait part là vint nous saluer en nous indiquant que si nous le voulions nous
pouvions nous installer dans un "carbet pour occidental" "style chalet savoyard" que le
village tenait à la disposition des
chercheurs du lieu...
nous ne savions quoi répondre... Guy et Cannelle y voyaient une facilité
et une opportunité à saisir...
Nat et Jess étaient plus réticents... "on n'était pas venu
pour ça !"...
Seule la présence d'Igor
déclencha un concert d'aboiement qui perturba la fin de la sieste et fit fuir quelques volatiles qui s'étaient eux aussi
approchées par curiosité ou... en quête de nourriture...
Quelques reniflages de courtoisie et postures de soumission plus tard... et le brave
toutou du Vercors était admis parmis la ménagerie des animaux que les Wayanas adorent apprivoiser et
entretenir en leur compagnie ( oiseaux perroquets, singes etc...) ...et
accepté par le cercle des chiens qui servent içi pour la chasse... certains étant
vendus fort cher à Maripassoula... il faut bien vivre... !
Une heure plus tard nous
étions reçu sous le grand carbet circulaire et deux chefs se tenaient là en
tenue traditionnelle , l'un était celui qui s'étant fait indien parmis les
indiens a fondé ce
village permettant la scolarisation sur place et la création d'un centre de soin.. .et
de médiatiser la cause des indiens : André ...
et l'autre le Tamusi chef des wayanas KUYAULI qui habite un village plus en
amont et est le père d'Etiplo et de Pupoli.
Tukusipan
C'est lui qui nous tendit la louche pleine de cachiri cette boisson aigrelette infâme à mon
goût ,de manioc fermenté, dont les wayana raffolent et dont ils se saoulent lors
de leurs fêtes traditionnelles.
Il y a là quelque chose qui rappelle la coutume bénédictine qui se pratique dans
chaque monastère et que nous pratiquons aussi à l'ermitage... une régle de
l'hospitalité fondamentale de toute "civilisation" et de toute "humanisation" ... et
que nous perdons hélas dans un occident vieillissant qui n'ose plus accueillir
ceux qui viennent chez nous chercher asile ou du travail ...
Si Guy et Cannelle en burent une louchée sans broncher
,personnellement je ne fis qu'y tremper les lèvres quitte à passer pour un "pisse
froid" mais mon estomac l'exige ...
Jess en fit autant ( car il a horreur
d'être contraint)...
seul Nat finit la
louche d'un trait et même en demanda une autre en exprimant un "Ipoc Elma "
(c'est très bon ) suivi d'un rot profond et sonore qui dérida et combla
l'assistance ...
Nous présentâmes nos cadeaux: quelques étoffes pour Cannelle, pour ma part
avec Guy de l'utilitaire : une boite à outil, une petite tronçonneuse ...et un "
GPS pour
les courses en forêt" , Jess une belle
aquarelle d'un saut du Maroni finie juste la veille et Nat des petites perles collées
, sa collection de coquillages marins et un collier ( toujours en
coquillages) qu'il passa autour du cou du chef tout surpris...( et qu'il a du
réaliser pendant la traversée !)
Il ajouta que c'était le plus beau jour de sa vie et qu'il avait pensé
à lui tout le temps...
Le chef tout ému sourit et le remercia..
et dans son beau regard noir ambré, énigmatique
qui ne fixe jamais comme
le veut la politesse locale mais illumine son beau
visage buriné et tanné par le soleil et les peines je vis des larmes lui monter plein les yeux...
qui se mirent à briller comme l'onyx des sculptures grecques...
Il tendit alors les bras pour soulever le petit et le prendre à son cou pour l'embrasser sous les
applaudissement d'une assistance retournée, émue et ravie
"Tu es mon nouveau fils déclara-t-il... tu es presque un Wayana !"
et il décida de garder Nat sur ses genoux pendant tout
l'entretien
Nous expliquâmes alors pêle-mêle alors
le pourquoi cette visite , la séropositivité des enfants , nos
fonctions réciproques, mon statut d'ermite...
notre souhait de n'être ni une charge, ni des voyeurs indiscrets...
simplement des amis de passage auxquels on pourrait tout nous
demander...
et nous avons mis sur la table une enveloppe d'argent pour couvrir une
partie des frais occasionnés par notre présence et le dérangement...
Le chef repoussa l'enveloppe et déclara que chez les Wayanas les amis étaient
reçus sans réciproque. .
et que la forêt et la rivière étaient assez vastes pour
nous permettre de vivre en paix içi autant que nous le voulions...
notre amitié était la plus belle chose qu'il
avait entendue depuis longtemps de la bouche même de nos "enfants" qui venaient
de si loin
...
et que nous pouvions rester aussi longtemps que nous le souhaiterions
nous étions ses
invités personnels ... et ainsi ceux de tous les wayanas
André ajouta en aparté qu'il valait mieux pour nous de passer une semaine de prise de contact içi
et que si nous le désirions nous partirions plus au sud avec le chef pour un
séjour dans la forêt profonde ...
car il est vrai que le village d'Antecume pata de par
sa modernisation progressive au contact des occidentaux n'est plus ce qu'il
était et a désormais un
petit air " de Savoie " avec ses carbets en forme de chalet, son électricité, ses
écoles, ses scientifiques ....son gazon anglais !...et son terrain de foot !
et lui un français né à Pierre Bénite ( banlieue de Lyon) comme chef !
Il est vrai que le Tamusi peut être n'importe qui...
c'est seulement celui
qui parle au nom de tous
les wayanas qui sont avant toute chose libres et n'aiment ni la hiérarchie, ni le
commandement... et ne pratiquent pas non plus le culte du passé .. .
encore moins
celui de la personnalité...
tout ce qui
justifie la fonction d'un vénérable chef gardien des traditions...
tous ces maux sont ceux de l'occident...
Içi tout le monde est sur pied d'égalité et la charge n'est pas héréditaire...
Nous nous sommes mis d'accord sur ce programme et jusqu'à présent dormirons dans
la baraque du CNRS... mais pour satisfaire les enfants...
Igor...et moi... nous nous installerons dans l'annexe pour les guides... et non
dans la baraque occidentalisée choisie par Cannelle...
c'est beau la diplomatie tout de même !
... il était presque l'heure de diner ...
du singe au couac et au riz... quelques menus poissons du fleuve
( yas-yas)
des fruits du carbet... le tout arrosé de cachiri...!!!!
heureusement il y a de l'eau !!!
Guy et Cannelle trouvèrent les locaux du CNRS à leur goût avec même une
douche... et un peu d'intimité...
notre carbet était ouvert à tous vents, la toilette... et les toilettes dans le fleuve... pour
mieux apprécier et nous laisser bercer par les chuchotement des "yoloks" ( des
esprits) et des bruits étouffés des "cancans" du soir à la lueur des feux et des ombres furtives ...
qui s'allument à la nuit tombée... même si de timides lampes électriques
sont installées dans les carbets les plus riches...et parfois même la télévision
!
Cette ouverture permis les
petites visites des gosses qui n'osent pas se dire et venaient voir ce que nous faisions ,
comment nous dormions...
ou nous donner de la canne à sucre...
...ou nous montrer les livres de l'école et qu'il savent lire... comme des
grands !
ou parfois demander que l'on en lise un... avec un petit câlin...
en plus des câlins nous leur avons donné le chocolat qui nous restait et
leur avons fredonné quelques chansons...
petits frères...
cela leur a tellement plu... d'être aimés un peu pour eux même
par des palississi qui ne les connaissaient pas et devant lesquels tout
était"neuf"
vers dix heures tout dormait ...
les derniers petits amateurs de lectures s'étaient retirés
nous 3 assoupis dans les mêmes rêves...
même Igor dans son hamac fit bien
rire les jeunes filles d'a côté....
« Avant que nos frères blancs viennent nous civiliser, chez
nous, pas
de prisons.
Nous n'avions donc pas de criminels...
Nous n'avions ni serrures, ni clefs,
et ainsi nous n'avions pas de voleurs.
Si un homme était trop pauvre pour avoir à lui un cheval,
une tente ou une
couverture,
quelqu'un les lui donnait
Nous étions trop primitifs pour accorder grande valeur
à la propriété
privée...
Nous n'avions pas d'argent
ainsi la valeur d'un homme ne pouvait être mesurée à son argent
Nous n'avions pas de droit écrit,
pas de procureurs,
pas de politiciens ;
ainsi nous ne pouvions pas tricher.
Nous étions vraiment mal partis ...
quand l'homme blanc est arrivé,
et je ne sais vraiment pas
comment nous pouvions nous tirer d'affaire
sans lui !?!»
Taca Ushte, Indien sioux
De mémoire
[1]
autrefois la case commune où couchaient toutes les familles du village...puis
devenue salle des fêtes et carbet des visiteurs de passage.
La forme en dôme évoque nous le verrons plus loin les "inselberg" qui furent les
premières "places fortes" et lieux de refuge contre les incendies et les
ennemis et ont rune valeur sacrée et mystique
[2] Notons içi qu'il n'y a pas de véritable chef chez les wayanas mais plutôt un
responsable chargé de parler au nom d'un village ou de l'ethnie.
Curieusement les véritable chef est le grand man Boni à la suite d'une guerre
que les wayanas ont perdu jadis pour le contrôle du Maroni; ils ont accepté de
faire allégeance ...mais celle-çi est purement formelle.
André dont nous parlons içi est André Cognat français de métropole qui se
fit indien dans les années 65 se maria et vit içi : il a écrit deux beaux livres
" J'ai choisi d'être Indien" chez l'Harmattan et " Antecume, une autre vie "
chez Laffont sur son expérience hors du commun et a toujours défendu l'identité
du peuple wayana contre le modernisme tout en conduisant à une scolarisation et
une intégration intelligente préservant ce peuple de la disparition qui était
programmée . Il est le fondateur d'Antecume Pata , Antecume est son
nom Wayana) de son dispensaire et de son
école.
*
Que voulez-vous faire maintenant ?