TENEBRES DU VENDREDI

Le chant des psaumes et les lectures, en ce jour de la passion, naissent du silence pour y reconduire. Avec une gravité qui se garde de tout pathétique, la prière nous fait entrer dans le mystère d'un amour que le monde aveuglé n'a pas reçu. «Mais à tous ceux qui l'ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu» (Jean 1, 12).


Premier nocturne


Psaume 2
«Les rois de la terre s'insurgent, les princes tiennent tête au Seigneur et à son Messie"


Psaume 21
La déréliction, mais aussi l'espérance du juste broyé par la souffrance sont décrites de manière prophétique dans un psaume fameux dont Matthieu met les paroles sur les lèvres de Jésus en croix: «Mon Dieu , mon Dieu pourquoi m'as-tu abandonné>>


Psaume 26
Mais au plus profond de l'abîme, la foi du juste ne chancelle pas:
«Ne me laisse pas, ne m'abandonne pas Dieu mon Salut...


Les lectures brossent le portrait du juste, livré à mort par ses frères.


 
Genèse 37,15-25a évoque Joseph, fils aimé de son père, assailli, jeté dans un puits asséché, puis vendu par ses frères.

 
Job 16, 6-22 montre le sage, ce saint homme Job paradoxalement accablé de malheurs, qui erre dans la nuit de son épreuve : «Quand je parle, ma souffrance ne cesse pas; si je me tais, en quoi disparait-elle?...
Pourtant, point de violence dans mes mains, et ma prière est pure.
«ô terre, ne couvre point mon sang, et que mon cri monte sans arrêt!»

Hébreux 5, 7-10 dirige notre regard sur le Christ lui-même:
«Lui qui, aux jours de sa chair, ayant présenté, avec une violente clameur et des larmes, des implorations et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort ( ... ) est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel.»

On peut ici préférer
Éphésiens 2, l la. 12-22 : «En sa personne il a tué la Haine ( ... ) il est venu proclamer la paix.»


Deuxième nocturne


Les psaumes formulent la prière d'un homme dans la détresse


Psaume 37
«Le coeur me bat , la force m'abandonne...>>


Psaume 39
Appelant Dieu à son S cours, cet homme lui offre, Pourtant librement l'offrande de sa vie:
«Tu ne voulais ni sacrifice ni oblation...voici je viens>>


Psaume 53 

Et il renouvelle sa confiance
en Celui qui seul Peut le délivrer du mal : «Ô Dieu par ton nom sauve -moi...>>

La lecture du nocturne est empruntée à saint Ephrem (v. 306-378)
diacre de l'Eglise de Syrie, surnommé la lyre du Saint-Esprit» en raison du talent Poétique avec lequel il traduit sa réflexion théologique.


«Aujourd'hui s'avance la croix, la création exulte; la croix, chemin des égarés, espoir des chrétiens, prédication des Apôtres, sécurité de l'univers, fondement de l'Église, fontaine Pour ceux qui ont soif. Aujourd'hui S'avance la croix et les enfers sont ébranlés. Les mains de Jésus sont fixées par les Clous, et les liens qui attachaient les morts sont déliés. Aujourd'hui le sang qui ruisselle de la croix parvient jusqu'aux tombeaux et fait germer la vie dans les enfers. [)ans une grande douceur, Jésus est conduit à la Passion, bénissant ses
douleurs à toute heure : est conduit au jugement d Pilate qui siège au prétoire à la sixième heure on 1 raille; jusqu'à la neuvième heure, il supporte la douleur des clous, puis sa mort me fin à sa Passion. À la douzième heure, il est déposé de la croix : on dirait un lion qu dort. Alors il descend aux enfers, désirant voir les justes qui se reposent de leurs fatigues et il les passe en revue Comme un roi regardant son armée au repos à l'heure de midi. Il dit : "Me voici, je viens." Et toute l'armée se dresse aussitôt.
Mais revenons à la Passion. Pendant le jugement, la Sagesse se tait et la Parole ne dît rien. Ses ennemis le méprisent et le mettent en croix. Aussitôt, l'univers est ébranlé, le jour disparaît et le ciel s'obscurcit. On le couvre d'un vêtement dérisoire, on le crucifie entre deux brigands. Ceux à qui, hier, il avait donné son corps en nourriture le regardent mourir de loin. Pierre, le premier des Apôtres, a fui le premier. André aussi a pris la fuite, et Jean qui reposait sur son côté n'a pas empêché un soldat de percer ce côté de sa lance. Le choeur des douze s'est enfui. lis n'ont pas dit un mot pour lui, eux pour qui il donne sa vie. Lazare n'est pas là qu'il a rappelé à la vie, l'aveugle n'a pas pleuré celui qui a ouvert ses yeux à la lumière, et le boiteux, qui grâce à lui pouvait marcher, n'a pas couru auprès de lui. Seul un bandit, crucifié à son côté, le confesse et l'appelle son roi, au scandale des juifs. Ô larron, fleur précoce de l'arbre de la croix, premier fruit du bois du Golgotha.
Désormais, par la croix, les ombres sont dissipées et la vérité se lève, comme nous
le dit l'Apôtre : "L'ancien monde est passé, toutes choses sont nouvelles." La mort est dépouillée, l'enfer livre ses captifs, l'homme est libre, le Seigneur règne, la création est dans la joie. La croix triomphe et toutes les nations, tribus, langues et peuples viennent pour l'adorer. Nous trouvons en elle notre joie avec le bienheureux Paul qui s'écrie : "Loin de moi la pensée de trouver ma gloire ailleurs que dans la croix de Jésus Christ notre Seigneur." La croix rend la lumière à l'univers entier elle chasse les ténèbres et rassemble les nations de l'Occident, du Nord, de la mer et de l'Orient en une seule Église, une seule foi, un seul baptême dans la charité. Elle se dresse au centre du monde, fixée sur le calvaire...
Armés de la croix, les Apôtres s'en vont prêcher et rassembler dans son adoration tout l'univers, foulant aux pieds toute puissance hostile. Par elle, les martyrs ont confessé la foi avec audace et n'ont pas craint les ruses des tyrans. S'en étant chargés, les moines dans une immense joie ont fait de la solitude leur séjour. Cette croix paraitra lors du retour du Christ, la première dans le ciel, sceptre précieux, vivant, véritable et saint du Grand Roi : "Alors dit le Seigneur, apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l'homme." Nous la verrons, escortée par les anges, illuminant la terre, d'un bout de l'univers à l'autre, plus claire que le soleil, annonçant le jour du Seigneur.
(Sancti Ephraem Syri Hymni et Sermones, 1886, vol. 11, p. 65-67.)


Troisième nocturne


Les psaumes du troisième nocturne dirigent toujours nos regards vers ce Fils de l'homme, couvert d'injures par ceux qui veulent sa mort, mais dont le coeur demeure fidèle.


Psaume 58 
« Et moi je chanterai ta force...>>


Psaume 87
Il est pourtant descendu jusqu'au fond de la détresse, jusqu'au bout de la nuit :
«Déjà compté comme descendu dans la fosse je suis un homme fini...>>


Psaume 93
Mais s'il meurt, c'est en gardant une certitude :
«Dieu ne délaisse pas son peuple...>>


Lecture :Saint Germain, évêque de Constantinople (t 733)
médite sur le mystère de la croix, victoire du Christ sur le mal et la mort. Si Jésus est monté sur la croix, c'est pour y retrouver Adam, l'homme perdu.

«Le peuple qui était assis dans les ténèbres a vu une grande lumière et sur les habitants du sombre pays une lumière a resplendi, la lumière de la rédemption. En voyant le tyran blessé à
mort, il revient des ténèbres à la lumière; de la mort, il passe à la vie. La victoire de Jésus seule est le salut de ceux qui, par leur faute, s'étaient éloignés de lui. Le bois de la croix porte celui qui a fait l'univers, Celui qui y est fixé est celui-là même que le patriarche autrefois avait vu au sommet de l'échelle. Subissant la mort pour ma vie, il est fixé au bois comme un mort, celui qui porte l'univers; il rend le souffle sur le bois, celui qui insuffle la vie aux morts. La croix ne lui fait point honte, mais comme un trophée atteste sa victoire totale. Il siège en juste juge sur le trône de la croix.
La couronne d'épines qu'il porte sur le front confirme sa victoire : «Ayez confiance, j'ai vaincu le monde et le Prince de ce monde, en portant le péché du monde.» Et cette victoire du Christ passe dans toute l'humanité dont il a pris les prémices. Que la croix soit un triomphe, les pierres elles-mêmes le crient, ces pierres du calvaire où, selon une antique tradition des Pères, fut enterré Adam, notre premier père. Cette tradition manifeste qu'Adam fut la cause de la venue du Seigneur sur la terre, que tout le mystère de l'humiliation avait en vue son rappel et son salut. Tout cela eut pour but la libération d'Adam et pour motif l'amour que son créateur lui portait.
«Adam où es-tu?» crie à nouveau le Christ en croix. Je suis venu là à ta recherche et, pour pouvoir te trouver, j'ai tendu les mains sur la croix. Les mains tendues, je me tourne vers le Père pour rendre grâces de t'avoir trouvé, puis je les tourne aussi vers toi pour t'embrasser. Je ne suis pas venu pour juger ton péché, mais pour te sauver par mon amour des hommes; je ne suis pas venu te maudire pour ta désobéissance, mais te bénir par mon obéissance. Je te couvrirai de mes ailes, tu trouveras à mon ombre un refuge. Ma fidélité te couvrira du bouclier de la croix et tu ne craindras pas la terreur des nuits, car tu connaîtras le jour sans déclin. Je chercherai ta vie, cachée dans les ténèbres et à l'ombre de la mort, je n'aurai de repos, jusqu'à ce que, humilié et descendu jusqu'aux enfers pour t'y chercher, je t'aie reconduit dans le ciel.»


(in Domini corporis sepulturam, Patrologie grecque 98, col. 251-260.)