Isaac le Syrien

 

Isaac est un ermite qui a vécu en Syrie au VIIème siècle
sa présence emplit l'histoire , il est entrée dans l'éternité
le décor de sa vie est la profondeur du désert
c'est un ermite
Près de lui se désaltèrent depuis toujours les assoiffés... se rassasient les affamés ...et s'apaisent les exigeants
Il ne s'occupe pas du peu et du partiel
Il parle de l'éternel, de l'universel, de l'inévitable...et de l'Invisible...

 

J'emprunte la longue et splendide introduction à l'Higoumène Basile du monastère Stavronikita du Mont Athos pour publier ici des extraits de son oeuvre avec l'aimable autorisation des éditions Desclée de Brouwer http://www.descleedebrouwer.com
 que je ne saurai jamais assez  remercier de leur compréhension.

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INTRODUCTION


L'Abbé Isaac définit un espace difficile, mais non pas impossible à cerner...
 
Cet espace est le mystère du siècle à venir, tel qu'il est vécu aujourd'hui par un saint mûr, totalement transfiguré, qui non seulement voit la force du créé et la beauté de l'invisible, mais a la puissance, à la ressemblance de Dieu, de créer, comme il le dit lui-même, des mondes nouveaux.

Mais alors qu'une telle chose est si grande, elle ne provoque en toi nul vertige.
Au contraire... elle te calme, elle t'apaise...
Car le saint est parvenu à la compassion de Dieu...
à l'incompréhensible miséricorde qui aime et anime toute la création.
Il est plus haut que les créatures...
 Il est hors de tout mouvement... 

En même temps il ne supporte pas de voir souffrir fût-ce le plus petit des êtres...
c'est pourquoi à la ressemblance de Dieu, il pleure et prie pour toute la création... et pour les serpents eux-mêmes...

Ainsi le texte qui ose parler du monde spirituel de l'Abbé Isaac ne peut être ordonné systématiquement, être divisé en parties, enfermer son enseignement.
Il parlera de manière générale et fragmentaire. 
Il laissera s'exprimer l'émerveillement qui déborde en celui qui approche un tel miracle.
Il sera méditation...

Il ne peut pas non plus donner le goût de l'Abbé Isaac. 
Il manifestera inévitablement comment cette grâce incréée, cette scintillation se reflète sur la surface irrégulière du désordre de celui qui écrit ces lignes.
Donc un tel texte parle juste... et il contrefait inéluctablement.
Il aide à comprendre l'abbé Isaac et en même temps il l'enténèbre....

Il ne reste rien d'autre à chacun - ceci est un désir et une prière - qu'à faire son signe de croix... Et à s'en aller calmement à la rencontre de l'Abbé ... à sa rencontre personnelle...



 Ainsi chacun de nous, dans le secret et le silence, recevra ce qu'il cherche ...et qu'il ne peut trouver nulle part ailleurs de manière si mûre. si universelle, si totale....

L'Abbé Isaac existe...

Il aurait pu ne rien écrire... Et là encore rien de ce qui fait sa grâce et sa richesse ne se serait perdu.
Mais dès lors que nous-mêmes ne sommes pas capables d'enregistrer tout ce rayonnement qui fut le sien dans le silence..., c'est lui qui par amour enregistre et écrit.

« Bien aimés, je suis fou, je ne supporte pas de garder le mystère dans le silence. Mais je perds la raison pour le bien des frères » (38e discours).

Toute la vérité que croit et vit l'église, toutes les choses intellectuellement difficiles et dogmatiquement très claires qui sont formulées par saint Grégoire de Nysse,  Denys l'aréopagite, saint Maxime le Confesseur, tu les trouves ici, non pas transposées en parole, mais vérifiées par la vie. 
La joie et le caractère de saint Isaac viennent d'une telle nourriture et d'une telle assimilation...
Il a vécu la grâce de l'incarnation dans tout son corps.

Il s'est élevé au Paradis de la déification par toute son existence.
Il y a dans sa vie toute la grâce de l'église.... Et tu trouves dans son livre tout son être sanctifié.
Il est vrai et pétri de grandes expériences. 
Des années durant il a été frappé par des tentations de droite et de gauche... Et il a
éprouvé le « secours de Dieu » : « Longtemps éprouvé à droite et à gauche..., couvert de plaies innombrables par l'adversaire, mais secrètement comblé de grands secours, j'ai recueilli en moi -l'expérience de tant d'années, et dans l'épreuve et par la grâce de Dieu j'ai appris... » (26e discours.)


Il a été éprouvé tout entier... et il a été sauvé tout entier...
 C'est pourquoi il peut transfuser le salut.
Il est passé par la crise ultime de l'enténèbrement
: « Cette heure est pleine de désespoir et de crainte. L'espérance de Dieu... a totalement quitté l'âme. Celle-ci est tout entière emplie d'hésitation et de peur. » (57e discours.) << Nous avons souvent éprouvé d'expérience toutes ces tentations>>

Un vieux moine, rapporte l'Abbé Isaac, disait de ses écrits
« Ce sont... les justes réflexions de la nature qui passent en moi. Je les écris au moment où elles m'arrivent. Quand je suis dans les ténèbres, je les relis, et elles me délivrent de l'erreur» (37e discours).

C'est de cette manière qu'écrivit -l'Abbé Isaac.
 Ses écrits sont venus d'eux-mêmes à l'heure de la grâce. 
C'est pourquoi maintenant, quand tu les étudies, ils t'emplissent de la grâce, de la lumière et du mouvement de sainteté qui les a engendrés.
 L'écriture et l'étude de ses paroles te donnent de participer à la vie divine, à la vie éternelle 

Etudiant ses textes saints tu vis vraiment avec l'Abbé Isaac... Et lui même vit avec toi. ...
Ton être entre dans une liturgie ecclésiale.
 Tu prends, et au même moment tu offres, tu dis ta gratitude.
 « Ces choses, je les ai écrites pour m'en souvenir et pour tous ceux qui les liront... afin qu'elles me soient un secours, par les prières de ceux qui en auront reçu un avantage. Car elles m'ont donné beaucoup de peine » (15e discours).

Il sait que par sa vie et ses écrits il nous a capturés en toute liberté au coeur même de ce qu'il a vécu. 
Nous sommes ses hôtes à la table éternelle de sa joie.... Et nous demeurons là, tous ensemble...

L'Abbé Isaac n'exprime pas des pensées.
Il ne fait pas d'exhortations morales.
Il décrit des états et des changements ontologiques .
Il rapporte avec brièveté et précision les changements qui surviennent salutairement en celui qui se tempère... qui combat... qui reçoit la grâce du Saint Esprit.
Il parle tangiblement des choses surnaturelles et de leur sensation. 
Il vit dans le céleste. ..
Et décrit la joie ineffable qui emplit le corps de l'homme à l'heure de la grâce....

Il peut ainsi écrire en ordre dispersé et pêle-mêle sur toutes les vertus, sur tous les états ... 
tout demeure harmonieux et équilibré...
 Rien de ce qu'il dit ne s'encastre dans un plan extérieur qui serait une construction cérébrale... 
Mais tout pousse comme les branches vivantes du tronc d'un même arbre de vie éternelle.
Parlant de toutes les choses il te révèle l'Unique...
 Et parlant d'un détail, quel qu'il soit... il te fait communier au mystère du tout....
 Le tout est léger et transparent.... et le partiel garde intacte la valeur du tout...

Qu'il engage ou qu'il dissuade, il te révèle un état qu'il a éprouvé lui-même.
 C'est là toute sa valeur.
  « Ne transmets à personne ce que tu n'as pas encore compris, afin de n'être pas confondu: ton enseignement comparé à ta vie découvrirait ta fraude » (23e discours).

Par ce qu'il dit, il révèle la physiologie de l'être spirituel et corporel de l'homme...
 comment se sanctifie et se déprave âme et corps ...
l'unique entité humaine...

Chez lui nulle phrase, nul mot qui soit superflu. 
Et nul manquement à l'architecture de la phrase. 
Tout naît en lui de manière naturelle et mûrie.
Une mélodie harmonieuse inouïe monte de l'ampleur et de la maturité de son texte... et révèle pour tous, en plein amour de l'homme, la manière dont s'ordonne liturgiquement la loi spirituelle ,qui sereinement... au-delà de toute contestation,... maintient et conduit tout.

Il ne dit rien qui n'ait passé en lui sans qu'il en ait souffert. 
Comme la mère qui dans la douleur et l'accomplissement, quand est venue son heure, enfante le fruit qu'elle a reçu dans ses entrailles....

Habituellement sa phrase a deux pôles.
Elle présente les vérités sous deux faces. 
Elle dit le côté positif, et le côté négatif.
Elle connaît l'un et l'autre.
« Celui qui se méprise et se réduit lui-même recevra du Seigneur la sagesse. Mais celui qui pense être sage par lui-même sera déchu de la sagesse de Dieu » (43e discours).

<< Par la sagesse de l'Esprit domine dans l'âme le silence, mais dans la sagesse du monde est la source de la distraction. Quand tu as découvert la première sagesse, tu es empli d'une grande humilité, de douceur... Mais quand tu as trouvé la seconde sagesse, tu portes en ton coeur l'orgueil, les indicibles égarements des pensées, le trouble de l'intelligence, l'impudence des sensations » (73e discours).

Il sait tout et te le dit non pas à voix haute, mais avec l'indiscutable autorité du silence de ses paroles et de sa vertu. « Réfute par la puissance de les vertus et non par la raison spécieuse de tes paroles ceux qui t'opposent leur opinion » (23e discours).


Il est sûr de ce qu'il croit et de ce qu'il écrit et Il te décrit avec assurance et sobriété ce qui arrive sur le chemin de la déification. 
Et il te dit quelles sont à chaque fois les conséquences corporelles et spirituelles. 
<< L'homme craint l'heure de la mort dans la mesure où il vit dans la négligence. Il craint d'aller au devant du Jugement, quand il s'avance vers Dieu. Mais les deux craintes sont englouties, quand il est parvenu tout entier devant Dieu dans l'amour » (38e discours).

Si tu veux souligner une de ses phrases, il te faut les souligner toutes. 
Toutes ont la même gravité, la même maturité, la même grâce. 
Ou bien tu vas tout souligner, ou bien tu ne souligneras rien.
 C'est dire qu'aucune chose dans le livre ne peut ni ne doit être considérée avec plus d'attention qu'une autre.
 Si lors d'une première étude tu veux souligner telle phrase... à la seconde lecture tu comprends que les phrases que tu n'as pas soulignées sont encore plus importantes....
Tu perds pied. 
Tu te trouves dans un autre climat... dans une autre logique... dans un autre monde ...où tout a été réconcilié. 
Il y a là une exactitude mathématique... une musicalité... une plénitude architecturale... une profondeur philosophique... une vision prophétique... une humanité divine. 
Le corps tout entier de son discours est parvenu à la même maturité... et exhale le même parfum de tendresse douloureuse.

Lorsque tu as appris à le lire et à l'aimer, il te devient difficile de lire autre chose....
 En même temps Il t'aide à comprendre et à peser la valeur de tout. 
Il éclaire et réchauffe l'esprit qui sanctifie et unifie tout... Et montre que tout s'ordonne de manière à la fois divine et humaine... le présent et l'avenir... ce qui est à toi et ce qui est aux autres.
Tu n'as nul désir de manger une autre nourriture. quand ta bouche a pris plaisir au goût et à la saveur de ce fruit mûr... de cette manne céleste faite des matières de la terre... et levée grâce au ferment du Royaume à venir. 
Tu le manges sur la terre et tu bondis dans le ciel. 
Il repose ton esprit et il sanctifie ton corps. 
Il te démonte et il te redresse. vêtu d'une autre noblesse et d'une puissance indéfectible.


Lui-même était savant. 
Il avait beaucoup lu...(Il en avait perdu la vue...)
 Cependant il ne nous offre ni connaissance indigeste ni sagesse mondaine. 
Sa valeur est ailleurs....
 C'est un saint. 
Il est le frère des théophores... des porteurs de Dieu... - les savants et les ignorants - qui ont trouvé ...et qui nous communiquent le secret de la vie.


La soeur... - la folle en Christ - du monastère des Tavenisiotes, dont nous parle le « Lausaïkon >>, a trouvé quelque chose...
L'Abbé Isaac a trouvé quelque chose....
La première n'avait besoin ni de prévenances. ni de compréhension ni de respect.
 Elle avait en elle l'unique amour de Dieu qui lui donnait lumière, vie et chaleur...

L'autre, l'abbé Isaac, a tout éclairé sous la grâce unique qu'il a trouvée et qui pénètre tout....

Quand tu trouves l'un, tu trouves tout. 
Et quand tu le perds, il ne te manque pas. 
Il se trouve partout. 
Il pénètre tout.
Tu t'en réjouis davantage quand tu le perds.
Car jusque dans sa privation, tu vis la continuité de sa grâce...
 Tu comprends sa valeur. 
Tu le vois d'un autre côté.


Le faux, même quand tu l'as. te manque...
 te tourmente....
 Et quand tu ne l'as pas, il te laisse dans le vide.

Le vrai a de nombreux sens. 
Ses applications et ses prolongements n'ont pas de fin.
Tu l'as, et tu as tout. 
Tu aimes tous les êtres. 
Tu te réjouis vraiment de toute joie.

Tu le perds et il est là...
 incorruptible, devant toi et en toi...

Tu le renies, mais lui ne te renie pas. 
Tu le chasses, et il vient
Tu l'obliges à partir et il part (sa discrétion est extrême). 
...Et tu te tourmentes seul.

Celui qui a compris ce qu'a vécu l'abbé  et l'a perdu dans sa négligence
, « celui-là seul sait dans quel malheur il est tombé » (13e discours).

Le message de l 'abbé  est l'Un et le Vrai. 
Il n'est pas lié par la corruption.
 « Il souffle où il veut. »
 Il est proche des étrangers. 
Il découvre ceux qui sont au loin.
 « Nul n'est caché à son ardeur. » 
Tout est à lui.
Il traverse les prisons des systèmes. 
Il écarte la fraude des idéologies et va trouver l'homme tout entier là où il est Il a quelque chose à lui dire... qu'il pense avoir la foi ou ne pas l'avoir... quel que soit le camp auquel il appartient... quelle que soit son idéologie,...quelle que soit sa vision du monde. 
Les points de vue et les opinions ne peuvent rien changer à « ce qui est au-dedans de notre nature >> (23e discours).
 là où se dirige l'abbé Isaac...