De l'innocence de Dieu

C'est le roc...la certitude fondamentale à laquelle nous devons nous cramponner de toutes nos forces quand on se plonge sur la question du mal...

A mesure que sous l'influence du christianisme, la conscience des hommes devenait plus sensible à la dignité de la personne humaine...et que les dimmenssions du mal, de l'injustice, de la cruauté lui étaient de meiux en mieux connues le problème du mal est devenu plus tragique...
... à l'origine de bien des formes d'athéismes... et surtout des angoisses de ce que l'on peut appeler : la" conscience chrétienne offusquée"

La plus grande de ces grandes âmes torturée et offusquée a été Dostoïevsky dont il convient de lire ou de relire les frères Karamazov et les Possédés...

Or la seule manière de répondre a la question que nous pose la présence du Mal et l'existence d'un Dieu à l'infini Amour... est de réaffirmer haut et fort  que Dieu est absolument innocent du Mal...
il n'a pas l'idée ou l'invention du mal...

Il n'y a en Dieu comme l'enseigne St Thomas d'Aquin aucune idée...aucune matrice intelligible du mal !...

Il a ennoncé cela en deux axiomes qu'il convient de toujours bien garder en mémoire

1) Deus nullo modo est causa peccari, neque directe, neque indirecte

Dieu n'est en aucune facon et sous aucun rapport cause du mal moral ni directement ni indirectement...

2) Defectus gratiae prima causa est ex nobis

la cause première du défaut de grâce vient de nous


C'est en nous...
c'est dans la créature qu'est la cause première du mal ...
cause première dans l'ordre du non-être ou du néant...
La créature a l'initiative première du mal...c'est à elle que remontent l'initiative et l'invention du péché...

Saint Thomas précise du reste dans un autre texte que c'est "parce que l'homme n'a pas voulu LE recevoir que" ce défaut de grâce"( que constitue le mal)vient à manquer."...
..et donc que le mal  arrive...

Certains diront : mais alors que faire de ces textes de la Bible où on dit que Dieu a aveuglé Pharaon?...ou a détruit telle ville...ou exterminé tel peuple ?
tout simplement il s'agit là de tournures de langage propres aux langues sémitiques et qui reviennent à dire  que Dieu avait permis que Pharaon s'aveuglât...ou que telle ville ou peuple soit détruit...

Il importe bien de comprendre que le mystère incompréhensible des choses de Dieu n'est pas comme le disait Hegel" une nuit où toutes les vaches sont noires" ...
et où nous pourrions abriter sous prétexte de transcendance des théories fumeuses...
La transcendance divine est obscure pour nous,certes...
elle est une nuit pour notre raison car elle rassemble des vérités qui au départ semblent incocnciliables...
Mais si obcur que soit ce mystère, l'absolue indépendance de Dieu d'un côté ...et l'absolue innocence de sa part de l'autre... y brillent avec une clareté souveraine...
et c'est cet éclat lui même que notre oeil a du mal à soutenir...

 

dissymétries et difficultés

Il est très important de noter dans le " Mystère"  la dissymétrie foncière et irréductible entre la ligne du bien et la ligne du mal...

ens et bonum convertuntur...

le bien est être et plénitude ou achèvement d'être...

Quand nous raisonnons dans la ligne du bien nous raisonnons dans la ligne de l'être... du plus d'Être...
de ce qui exerce l'être ou porte l'être à son accomplissement...à sa perfection voulue par Dieu...

Le mal au contraire, de soi ou en tant même que mal est absence d'être...
privation d'être ou de bien...
néant qui ronge l'être...

Quand nous raisonnons dans la ligne du mal nous raisonnons dans la ligne du non-être...
le mal n'est nullement être...
il est seulement vide ou carence d'être...
néantement et privation...

Ainsi il y a totale dissymétrie entre notre manière d'envisager et d'expliquer les choses dans la perspective du bien ...et d'envisager ou d'expliquer les choses dans la perspective du mal .

De ce fait on peut déduire:

1ere remarque:

Dans la ligne du bien Dieu est la cause première et transcendante de notre liberté et de nos décisions ..
ainsi l'acte libre est tout entier de Dieu comme cause première...car il n'y a pas une fibrille d'être qui échappe à la causalité de Dieu...

Notre liberté certes a l'initiative de nos actes... mais c'est une liberté seconde...
c'est Dieu qui a l'initiative première...et s'il coupe le courant...
Pfutt !
nous ne sommes plus...
plus de liberté non plus...

Tout cela est vrai pour les actes bons...
pour les mauvais ?...pour le mal lui même ?

là c'est tout le contraire...
Dieu n'est absolument pas cause de nos actes libres...dans le cas du mal...

2ème remarque:

Dans la ligne du bien tout ce que Dieu connait dans l'existence créée IL le connait par ce qu'IL le cause...
mais dans la ligne du mal ?

Le mal accompli par les créatures est connu de Dieu, constaté par Lui...
il y a donc quelque chose...qui n'est pas une chose...
un être ...mais un non-être...une carence...
qui est connue de Dieu dans l'existence créée... sans avoir été causée par lui...

Ainsi ce n'est pas la peine d'aborder le problème du mal si on n'a pas le courage de séjourner auprès du non-être ...et de le regarder en face...
et d'employer l'équipement conceptuel nécessaire pour traiter de lui...
...ces choses que sont le néantement, le néant, néanter, nihilisation, fissure de l'être etc......qui servent à exprimer quelque chose de tout ce qu'il y a de plus réel...
mais qui appartiennent au règne du non-être...

Difficile... car notre intellect humain a du mal a concevoir le non-être...
et quand il le fait il le fait à la manière de l'être...
ainsi en est-il du personnage de Satan...

Dieu seul connait en fait cette privation qu'est le mal..sans avoir à former un raisonnement existant...

Le manque est bien sûr tout ce qu'il y a de plus réel...mais cette carence d'être n'est nullement un être de raison...
nous n'hésitons pas à dire le mal qui est un non-être, une privation...comme nous disons l'intelligence ou la beauté qui sont de l'être...
pourquoi alors hésiter à dire que nous néantons...que nous causons du rien...

Et cela est vrai de la simple négation (absence d'un bien qui n'est pas du)...
comme de ce non être qu'est la privation ( absence d'un bien dû) ...
et si je veux exprimer qu'une négation vient de se produire dans l'existence comme un vide ou un trou...je ne pourrai le faire qu'en disant qu'elle est une fissure de l'être ou une nihilisation...

 

Embarras ...

La doctrine de Saint Thomas tient aussi fermement aux 2 vérités suivantes:

1) Dieu est la cause première, totalement universelle de l'impulsion, de la motion de laquelle dépend l'action de la créature jusqu'au moindre iota...
même et surtout l'action du libre-arbitre...
c'est dans la créature intelligente qu'il y a le plus de richesse en être et en activité...

2) La science de Dieu est cause des choses, Dieu connait les choses parce qu'il les fait...Il les connait par l'idée créatrice ou fabricatrice qui les fait venir à l'existence autrement dit par son intelligence jointe à sa volonté...

Ceci évidement vient en complément des 2 principes sur le mal ennoncés plus haut...

Selon cette doctrine tout est expliqué...même le mal, dans la perspective de l'être et du bien...
mais si on réfléchit bien ...
Dieu semble quand même l'initiateur du mal qu'il punit...comme du bien qu'il récompense...
ce qui semble paradoxal...
car ainsi...Dieu semble prédestiner les élus à la gloire sans considération de leurs mérites prévus...
et IL réprouve les autres de sa propre initiative...  décidant de les exclure de la béatitude sans considération des démérites prévus...
une réprobation d'avance en quelque sorte...

Dieu fait tout...l'acte et le jugement !

Devant cette ambiguité des auteurs ont insisté sur la liberté créée bien réelle ...et que nul n'est réprouvé d'avance...
ce qui revient à dire souvent  que l'on attribue le bien à l'homme...et non à Dieu...
acte bon et acte mauvais passent ainsi sous la dépendance de la créature...
l'équilibre est difficile à tenir...

On abandonne ainsi l'admirable vue de Saint Thomas ...  qui nous fait comprendre  la causalité transcendante de Dieu qui meut chaque agent créée selon son mode propre...
des agents libres selon leur liberté elle même...

ainsi c'est Dieu qui cause la liberté même de la décision libre...

cause première de l'acte libre tout entier...
tandis que la volonté humaine est seulement cause seconde ...

et dans le cas du mal ?

On sait bien que Dieu n'est pas cause du mal...et que ce que Dieu cause ne peut être que bon...
aussi on ne peut pas dire qu'une décision préalable de la volonté divine précéde la défaillance coupable de la créature...

Les théologiens inventèrent alors la notion de "décret permissif antécédent" qui précéde cette défaillance... et en vertu duquel l'acte mauvais arrive... comme l'acte bon infailliblement et librement...

Cela revenait à dire en clair que Dieu n'avait qu'à "ne pas donner Sa Grâce ...
et la créature qui gardait le pouvoir de bien faire ...ne le faisait pas...
elle ne pouvait pas mettre  en acte le bien ...
et cela librement...
puisque Dieu l'abandonnait à sa propre liberté faillible...
elle pouvait ainsi être justement punie du mal qu'elle commettait ...!
...du fait que Dieu avait retiré Sa Main...
Ouf ! la logique était sauve !

Dans le même esprit c'est dans un "décret permissif antécédant "que Dieu connait de toute éternité le péché que je commettrai librement aujourd'hui...

Ainsi...
La dissymétrie de la ligne du bien et de celle du mal était complètement oubliée...
l'axiome " Dieu n'est en aucune façon la cause du péché directement ni même indirectement...jeté à la poubelle...
de même que celui qui souligne que " du défaut de grâce la cause première vient de nous..."

Deux axiomes pourtant vérifiables par le raisonnement...
cela nous entrainerait un peu trop loin de le démontrer... et seuls les philosophes et les métaphysiciens que nous ne sommes pas seraient intéressés...

néanmoins vous pouvez si vous le souhaitez cliquer-içi

Je vous renvoie aussi au livre de Jacques Maritain dont ce texte est inspiré : "Dieu et la permission du Mal" chez Desclée de Brower ( p.28 et suivantes)