L'idée de ce paragraphe est d'aller au bout de la
dissymétrie entre la ligne du bien et celle du mal...
pour considérer que la cause première ou l'inventeur du mal moral dans la réalité
existentielle du monde... c'est la liberté de la créature...
liberté dans la ligne du non-être...
Cela implique de considérer qu'à la toute première origine de l'acte mauvais... et
avant tout lors de l'élection mauvaise qui prend place au fond du coeur il y
a ...non pas seulement la faillibilité de la créature...
mais aussi une défaillance réelle de celle-ci...
une initiative créée par elle et qui puisqu'elle n'est pas causée par Dieu
ne peut être qu'une initiative de non-être...de manque à l'être,
de carence...
ce que j'appelle le néantement...
Sine me nihil potestis facere ( Jean
15,5)
sans moi vous ne pouvez rien faire...
cela peut se comprendre de 2 façons
- Sans moi vous ne pouvez rien faire de bon... dans la ligne de l'être ou du bien...où Dieu a l'initiative première...
- Ou...sans moi vous pouvez faire le
rien...vous pouvez introduire dans l'être ce rien ...ou ce non-être du bien
dû...cette privation qui est le mal...
et cette initiative du Mal vous ne pouvez l'avoir que sans Moi...
sous entendu...
car avec Moi c'est seulement du bien que vous pouvez faire ...
Voilà la ligne du non-être ou du mal...où c'est la liberté créée qui a l'initiative
première...
et quelle initiative !...celle de néanter !...
Une telle vue entraine un certain nombre de remarques...
1ère remarque
La théorie de St Thomas sur la non-considération de la
règle est une découverte métaphysique de première grandeur...
sans laquelle aucune réflexion sur le Mal n'est possible...
J'essaye de résumer brièvement:
La cause du mal de l'action est toujours un défaut ou une
défaillance...un defectus dans l'être ou dans les
puissances d'action de l'être...
ainsi l'action de boiter a pour cause un defectus du
système locomoteur...
En ce qui concerne le mal du libre arbitre le defectus
est volontaire et libre...
mais il n'est pas encore un mal de l'action ...
car alors nous serions dans un cercle vicieux...et le libre arbitre n'exiterai plus ...puisqu'il
serait inexorablement défectueux...
Pour sortir du cercle il faut poser à l'origine du
mal moral un defectus volontaire et libre
qui n'est pas encore un mal ou une privation...
mais une MERA NEGATIO...une pure
soustraction de l'être...
une pure carence de l' être..
...pure absence que j'introduis volontairement dans l'être...par ma volonté et
librement...
Ce defectus, cette
défaillance libre qui est cause du mal moral ,sans être lui même un mal c'est la non considération de la règle...
ce n'est pas un acte de non-considération...mais un non-acte de
considération...
car regarder la règle n'est pas en soi une chose due...
Qu'un menuisier ne tienne pas sa règle à la main n'est pas en soi
un mal...
mais c'est la cause en vertu de laquelle il sciera une pièce de bois de travers...
et alors...
n'avoir pas sa règle à la main devient un mal... ou la privation d'un bien dû dans
l'acte d'inciser du bois...
Remarquons que cette non-considération
de la règle est quelque chose de réel puisque c'est la cause du péché...et
c'est quelque chose de libre..
.c'est donc une initiative libre de la volonté...
et elle n'est cause du mal de l'acte de choix que lorsque ce dernier s'exécute..
.et cependant étant cause du mal... elle le précède d'une priorité de nature...
Ainsi il y a donc 2 instants à distinguer dans l'acte de
faire le Mal...
-un premier instant: ne pas considérer la règle ce qui est
une pure soustraction d'être...mera négatio...pure absence d'un bien non dû
- un deuxième instant: agir avec cette absence qui du
seul fait qu'on agit avec elle devient une privation, l'absence d'un bien dû...et fait
dévier l'opération..
2 instants distincts...
le premier est celui de la cause du mal...
et le second celui du mal causé ...
Par ailleurs, la pensée humaine ne peut concevoir le
non-être... et donc le mal...que ad instar entis...qu'à l'instar de l'être..
.en en parlant comme de quelque chose, comme une espèce de soi-disant qualité...
il convient donc de casser les mots...
ainsi, quand la créature prend la libre initiative de ne pas regarder la règle- mera
nétatio- pure carence, non acte-...on peut dire qu'elle désagit...qu'elle
nihilise ou qu'elle néante..
.et le mal moral, le mal de l'action libre est lui aussi comme tel néantement...
qui cette fois est une privatio... qui prive d'un bien dû...
Evidement toute créature est naturellement faillible comme
le dit Saint Thomas...
et Dieu lui même ne peut pas plus faire une créature naturellement impeccable... qu'Il
ne peut faire un cercle carré...
puisque cette créature n'est pas Dieu...mais créature...
Mais la faillibilité d'une créature intelligente et libre
c'est quelque chose de terrible...
car Dieu joue franc-jeu avec tous les êtres et les traite selon leurs modes...
...faillibles...IL permet qu'ils défaillent...
Pourtant Dieu est infiniment Parfait...et Bon...
"...éternel est son amour..." chante le Psaume...
il faut donc en conclure que Dieu n'aurait pas créé la nature... s'IL ne l'avait
ordonné à quelque chose de plus grand encore...ordonné à la
Grâce...
...et à cette Charité par laquelle l'homme devient sous la
Grâce... et librement...
Ami de Dieu..
le péché n'étant que la rançon de cette
gloire...
2ème remarque
La notion de motion brisable...
Nous avons dit que la créature n'agit que sous le mouvement
de la Cause première...
Si Dieu "coupe le courant" ...plus de créature...plus d'être...plus d'agir....
La motion brisable elle ,est une activation divine qui fait tendre l'agent libre à un
acte moralement bon...mais qui comporte de soi, par nature la
possibilité d'être brisée...
Comment ?
Par une initiative première de la créature qui en néantant sous cette motion s'y
dérobe,...
c' est à dire cesse librement de considérer la règle...
Encore une fois: en prenant l'initiative de ne pas
considérer la règle la créature ne prend pas l'initiative d'un acte de refus...son
initiative n'est absolument pas l'initiative d'un acte...
c'est la libre initiative d'un non-acte...d'un néantement de ne pas
considérer la règle
Et...Cela induit plusieurs conséquences...
1. Cette motion brisable ( ce mouvement brisable si vous préférez) répond au
mode naturellement faillible de notre liberté...
une motion divine brisable c'est ce qui correspond à une liberté humaine faillible...et
ce qui est normal et conforme à notre nature...
Mais...
Dieu peut donner à certains des motions imbrisables
du premier coup...
ces individus agiront bien... sans risque de faillir..
.seront divinement "protégés" contre la non-considération de la règle...
mais cela demeure exceptionnel...
Dieu en donne à son gré...à qui Il veut...quand IL veut
mais ordinairement IL donne des motions brisables... qui seront brisées si l'agent
libre néante en ne considérant pas la règle...
mais qui si elles ne sont pas brisées fructifient d'elles même...
de part l'amour même de Dieu d'où elles procèdent..
.sans avoir besoin d'être complétées par la créature...
2 .Du fait qu'elle peut être brisée par la créature la motion brisable implique de soi une permission générale que la créature verse du côté du Mal si elle veut...si elle prend l'initiative de néanter....
3 Tout ce que tu fais de bien vient de
Dieu...tout ce que tu fais de mal vient de toi dit avec sagesse et raison le Coran
( Coran sourate IV verset 79)
ce que Saint Thomas ne cesse de proclamer. lui aussi..
mais dans l'Islam on reste prisonnier du dilemme ...
car
Si tout ce que tu fais de bien vient de Dieu...
alors... quant tu fais le mal...?...
il faut bien que rien ne te soit venu de Dieu...donc bien et mal sont des fatalités dont
Dieu est la cause...??
Réciproquement si tout ce que tu fais de mal vient de toi alors il faut bien aussi que tu
sois libre de faire le bien que tu ne fais pas...et Allah se borne à contempler ce que tu
fais librement...??
On en discute encore au pied des minarets...
En fait seule la dissymétrie permet de sortir de cette impasse...
en réalité Dieu a la première initiative dans la
ligne de l'être...
et je n'ai moi la première initiative que dans la ligne du
non-être...
Ainsi si je fais le bien c'est que Dieu a mû mon vouloir de bout en bout sans que j'ai pris l'iniative de néant qui aurait brisé son mouvement au stade ou il était "brisable"
Tout le bien que je fais vient bien de Dieu...
Si je fais le mal c'est que j'ai pris moi même une
initiative première de "briser"... en néantant le mouvement brisable par
lequelle Dieu me portait au bien...
et que j'ai introduit volontairement ( et souvent inconsciement) dans mes actes le
nénantement qui les vicie...
Tout le mal vient de moi...