Petit hommage au Grand Jacques (Jacques Brel)

( interview de Titus réalisé et mis en forme par Nico)

 

 

Je me souviendrai toujours de ce samedi soir au casino de Biarritz ...j'étais venu voir Brel avec une amie... plus par désir de couper la monotonie de trop longues vacances, de sortir, de voir du monde... que pour le spectacle ..;et puis Brigitte ne voulais pas sortir seule...

Brel j' connaissais pas bien...

La découverte avait été fortuite au cours d'un automne glacial, en séjour chez ma Tante qui venait de se marier ...et moi rentrant à la fac qui déprimé ne savais pas trop où passer...
on m'avait dit de venir visiter une ville avec de belles églises... ça me changerai le moral...
mais les journées sont longues et les après midi humides... dans le NE  !

Heureusement traînait là un électrophone... et miracle de l'approche de l'état adulte j'avais désormais droit d'y toucher ...
 quelques disques de Montant, Trenet... du classique ...pas de jazz ...encore moins de yéyé...  bah tant pis...!
et puis un disque de  Brel
...Brel...

...oui  je l'avais déjà entendu à la radio... sur mon "petit transistor" :la valse à mille temps, les flamandes, les dames patronnesse...
une sonorité un peu gnangnan... un anticlérical... mais cravaté et bon chic bon genre... un belge quoi... encore adolescent..;fils de bourgeois qui cherchait à se donner des airs.. .ou de l'air ...
Bref j'aimais pas trop préférant alors les Beatles, Elvis Presley ou Bill Halley... déjà le rock..!.

...mais ce disque je l'ai si souvent passé que j'ai fini par l'aimer... y entrer.. comme en prière... et il me revient souvent...

c'était profond... c'était triste, c'était humain , c'était vrai
c'était ce que les gens vivaient
c'était ce que je vivais...

Les Bourgeois c'est comme les cochons... . Les Paumés Du Petit Matin ... . Le Plat Pays ...  Zangra qui rêve de devenir héros ...mais ne le sera jamais... Madeleine ( que j'attendais aussi) .... Bruxelles qui bruxellais alors... Chanson Sans Paroles ( pour celles ou ceux que j'aurais aimé oser aimer alors... mais le temps était venu et l'amour passé....) Les Biches ou les Faons de mes soirées mondaines... Le Caporal Casse-Pompon .(eh oui ! à l'époque il y avait encore le service militaire) .... La Statue des gens dont que l'on propose à l'adulation des foules sans en dévoiler les bassesses ...Rosa ...les déclinaisons latines si difficiles... et puis Une île ...déjà...

Une île

Une île au large de l'espoir

Où les hommes n'auraient pas peur

Et douce et calme comme ton miroir

Une île

Une île

Claire comme un matin de Pâques

Offrant l'océane langueur

D'une sirène à chaque vague

Oh viens !

Viens mon amour

Là-bas ne seront point ces fous

Qui nous disent d'être sages

Ou que vingt ans est le bel âge...

 

Voici venu le temps de vivre

Voici venu le temps d'aimer

Une île...

 

Une île au large de l'amour

Posée sur l'autel de la mer

Satin couché sur le velours

Une île

Une île

Chaude comme la tendresse

Espérante comme un désert

Qu'un nuage de pluie caresse

Oh viens !

Viens mon amour

Là-bas ne seront point ces fous

Oui nous cachent les longues plages

Viens mon amour

Fuyons l'orage

Voici venu le temps de vivre

Voici venu le temps d'aimer

Une île

 

Une île qu'il nous reste à bâtir

Mais qui donc pourrait retenir

Les rêves que l'on rêve à deux

Une île

Voici qu'une île est en partance

Et qui sommeillait en nos yeux

Depuis les portes de l'enfance

Oh viens !

Viens mon amour

Car c'est là-bas que tout commence

Je crois à la dernière chance

Et tu es celle que je veux

 

Voici venu le temps de vivre

Voici venu le temps d'aimer

Une île.

 

J'étais là ... dans le théâtre du Casino...
( peut-être celui qui l'inspirera plus tard pour écrire " j'vous ai apporté des bonbons..."
bah ! une heure et demi ça passe vite ...et puis la première partie était pas trop mal...
au besoin je ferai un petit somme...

Déjà le rideau s'ouvre sur une scène obscure... un piano... un pianiste chauve... une scène vide...
un micro figé en érection...
et puis un pinceau de lumière éclairant le rideau noir du fond...
en une flaque

Puis un homme décharné en costume de communiant... semblant trop petit pour ses immenses bras... et  qui entame sans attendre les applaudissements dans un concert de grandes mains volantes, de bras ressemblant aux ailes des moulins et d' entortillements... indiens

Tout cela  dans...   la flaque de lumière qui a glissé sur le plancher ,
une flaque de sentiments par un homme qui se tord, torche brûlante d'humanité là en bas sur scène.
Toute cette sueur, ces postillons, cette eau intérieure déversée hors de lui.
Le sel de ses jours, la bile de ses nuits aussi.

Il était  chanteur expressionniste par excellence, par sa théâtralisation extrême, ses gestes, ses cris.

Je me souviens plus du programme ...simplement au fil des minutes que j'étais captivé.. aspiré ... .emmené par une voix chaude profonde vraie
par un langage bien à lui, percutant, sincère, des sentiments profonds,
par de la désespérance  de la colère qui débouchait sur de l'espoir,  de l'Amour,  de l'amitié , de la Tendresse ; et de l'Humanité
le tout sans pouvoir reprendre son souffle sans arrêt... à peine ceux des applaudissements...
au pas de charge

et ce visage qui se couvre de sueurs et de pleurs... ce grand mouchoir... que des mains serrent... des mains qui cherchent à se dire... à dire ce que ne peut exprimer ce regard qui contemple l'infini  ...une heure et demi à rêver...

« Nous nous changeons l'un l'autre, à nous sentir ensemble

Vivre et brûler d'un feu intensément humain,

Et dans notre être où l'avenir espère et tremble,

Nous ébauchons le coeur de l'homme de demain.»

(Émile Verhaeren )

 

Depuis ce soir là Brel est entré dans ma vie et aujourd'hui encore ses chansons n'ont pas pris une ride et ses textes me servent souvent pour méditer

A 38 ans après avoir tant galéré pour sortir de son milieu traditionnel... et catho il s'arrêta de chanter pour ne pas s'installer dans la routine, pour faire autre chose... pour VIVRE

Voilà que l'on se couche

De l'envie qui s'arrête

De prolonger le jour

Pour mieux faire notre cour

À la mort qui s'apprête

Pour être jusqu'au bout

Notre propre défaite

Serait-il impossible de vivre debout ?
 

Il tournera encore quelques films... " les risques du métier" , "l'emmerdeur ".. composera un opéra "Don quichotte" .puis en 74 achète un voilier L'askoy...pour faire un tour du monde de 3 ans ...

En ce pays de canaux et de landes,

Mains tranquilles et gestes lents,

Habits de laine et sabots blancs,

Parmi des gens mi-somnolents,

Dites, vivre là-bas, en de claires Zélandes !

Vers des couchants en or broyé,

Vers des rivages foudroyés,

Depuis des ans, j'ai navigué.

Dites, vivre là-bas,

Au bord d'un quai piqué de mâts

Et de poteaux mirés dans l'eau ;

Promeneur vieux de tant de pas,

Promeneur las.

Vers des espoirs bientôt anéantis,

L'orgueil au vent, je suis parti.

La bonne ville, avec ses maisons coites,

Carreaux étroits, portes étroites,

Pignons luisants de goudron noir,

Où le beffroi, de l'aube au soir,

Tricote

Un air toujours

le même, avec de pauvres notes.

J'ai visité de lointains fleuves,

Sombres et lents, comme des veuves ...

J'ai parcouru, sous des minuits de verre,

Des courants forts qui font le tour de la terre....

La mer ! la mer !

La mer tragique et incertaine,

Où j'ai traîné toutes mes peines !

Depuis des ans, elle m'est celle,

Par qui je vis et je respire,

Si bellement, qu'elle ensorcelle

Toute mon âme, avec son rire

Et sa colère et ses sanglots de flots ;

Dites, pourrais-je un jour,

En ce port calme, au fond d'un bourg,

Quoique dispos et clair,

Me passer d'elle ?

 

La mer ! la mer !

Elle est le rêve et le frisson

Dont j'ai senti vivre mon front.

Elle est l'orgueil qui fit ma tête

Ferme et haute, dans la tempête.

Ma peau, mes mains et mes cheveux

Sentent la mer

Et sa couleur est dans mes yeux ;

Et c'est le flux et le jusant

Qui sont le rythme de mon sang.

...

Et qu'importe d'où sont venus ceux qui s'en vont,

S'ils entendent toujours un cri profond

Au carrefour des doutes !

Mon corps est lourd, mon corps est las,

Je veux rester, je ne peux pas ;

L'âpre univers est un tissu de routes

Tramé de vent et de lumière ;

Mieux vaut partir, sans aboutir,

Que de s'asseoir, même vainqueur, le soir,

Devant son œuvre coutumière,

Avec, en son cœur morne, une vie

Qui cesse de bondir au-delà de la vie.

Dites, la mer au loin que prolonge la mer ;

Et le suprême et merveilleux voyage,

Vers on ne sait quel charme ou quel mirage,

Se déplaçant, au cours des temps ;

Dites, les blancs signaux vers les vaisseaux partant

Et le soleil qui brûle et qui déjà déchire

Son voile en or, devant l'essor de mon navire.

Émile Verhaeren

 

Tout son répertoire serait à méditer ..
.tiens je vais dire à Jess tout le restant du voyage de me laisser un peu de place pour vous placer quelques vers de lui.. et de temps en temps une toile de Gauguin...
vous verrez c'est aussi bien que les psaumes pour méditer..

et ce sera un hommage...

Car le grand Jacques découvrit en faisant son tour du monde les Marquises... et s'y installa en 76...vendant même son bateau pour ne plus en repartir....

Atteint d'un cancer du poumon il mourut cependant en France à 49 ans !...en 78

Il est enterré à Ua Pou à côté de la tombe de Gauguin qu'il aimait tant...

 

Et puis si j'étais l'Bon Dieu

Je crois que je ne serais pas fier

Je sais on fait ce qu'on peut

Mais il y a la manière

Tu sais je reviendrai

Je reviendrai souvent

Dans ce putain de champ

Où tu dois te reposer

...

Et puis les adultes sont tellement cons

Qu'ils nous feront bien une guerre

Alors je viendrai pour de bon

Dormir dans ton cimetière

Et maintenant bon Dieu

Tu as bien rigolé

Et maintenant bon Dieu

Et maintenant j'vais pleurer.

Où j'ai traîné toutes mes peines !

Depuis des ans, elle m'est celle,

Par qui je vis et je respire,

Si bellement, qu'elle ensorcelle

Toute mon âme, avec son rire

Et sa colère et ses sanglots de flots ;

Dites, pourrais-je un jour,

En ce port calme, au fond d'un bourg,

Quoique dispos et clair,

Me passer d'elle ?

( Jacques Brel)

Ne me quitte pas
Il faut oublier
Tout peut s'oublier
Qui s'enfuit déjà
Oublier le temps
Des malentendus
Et le temps perdu
A savoir comment
Oublier ces heures
Qui tuaient parfois
A coups de pourquoi
Le coeur du bonheur
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas

Moi je t'offrirai
Des perles de pluie
Venues de pays
Où il ne pleut pas
Je creuserai la terre
Jusqu'après ma mort
Pour couvrir ton corps
D'or et de lumière
Je ferai un domaine
Où l'amour sera roi
Où l'amour sera loi
Où tu seras reine
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas

Ne me quitte pas
Je t'inventerai
Des mots insensés
Que tu comprendras
Je te parlerai
De ces amants là
Qui ont vu deux fois
Leurs coeurs s'embraser
Je te raconterai
L'histoire de ce roi
Mort de n'avoir pas
Pu te rencontrer
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas

On a vu souvent
Rejaillir le feu
D'un ancien volcan
Qu'on croyait trop vieux
Il est paraît-il
Des terres brûlées
Donnant plus de blé
Qu'un meilleur avril
Et quand vient le soir
Pour qu'un ciel flamboie
Le rouge et le noir
Ne s'épousent-ils pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas

Ne me quitte pas
Je ne vais plus pleurer
Je ne vais plus parler
Je me cacherai là
A te regarder
Danser et sourire
Et à t'écouter
Chanter et puis rire
Laisse-moi devenir
L'ombre de ton ombre
L'ombre de ta main
L'ombre de ton chien
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas
Ne me quitte pas

 

Les textes des chansons de Brel sont disponibles en suivant ce lien

on peut en écouter des extraits sur Amazon

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