Les genres de moines
On sait qu'il y a quatre genres de moines.
Le premier est celui des cénobites, qui vivent dans un monastère et combattent sous une
règle et un abbé.
Le deuxième est celui des anachorètes ou ermites, dont la vie
n'en est plus à la ferveur des débutants.
Longuement éprouvés au monastère, ils ont appris , avec le soutien d'un
grand nombre, à lutter contre le diable.
Bien entraînés dans le rang des frères pour le combat singulier du désert et
suffisamment assurés désormais pour se passer du secours d'autrui, ils sont capables ,
avec l'aide de Dieu, de combattre seul les vices de la chair et des pensées.
Le troisième genre est détestable, c'est
celui des sarabaïtes.
N'ayant jamais suivi de règle, ils n'ont rien appris par expérience et n'ont pas été éprouvés comme l'or dans le creuset, mais, mous comme le
plomb, ils restent fidèles au monde
par leurs oeuvres et sont connus pour
mentir à Dieu par leur tonsure...
A deux ou à trois, ou même seuls, sans pasteur, ils s'enferment non dans les bergeries
du Seigneur, mais dans leur propre
bercail.
Ils n'ont pour loi que la satisfaction de leurs désirs; tout ce qu'ils ont imaginé ou
choisi, ils le déclarent saint, et ce qu'ils n'acceptent pas, ils le tiennent pour
illicite.
Le quatrième genre de moines est celui des
gyrovagues.
Ceux-là passent leur temps à circuler de province en province, se faisant héberger trois
ou quatre jours dans les cellules des uns et des autres.
Toujours errants, jamais stables, asservis à leur propre volonté et aux plaisirs de la bouche, pires à tous les égards que les sarabaïtes !
La conduite de tous ceux-là est des plus
misérables et il vaut mieux se taire que d'en parler...
Laissons-les donc de côté et venons-en, avec l'aide du Seigneur, à organiser la très
forte classe des cénobites.
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L'abbé tel qu'il doit être
Ce chapitre peut sembler réservé à ceux qui fréquentent les monastères...il n'en est rien car dans les conseils que Benoît prodigue à l'Abbé on trouvera nourriture pour nos propres relations avec nos proches...et on saura s'inspirer de ses judicieux conseils...ainsi que de ses mises en garde...
L'abbé digne de gouverner un monastère
doit toujours se souvenir du nom qu'il porte et réaliser par ses actes ce titre donné au
supérieur.
Il est en effet considéré comme tenant dans le monastère la place du Christ, puisqu'il
est appelé du même nom, selon la parole de l'Apôtre:
"Vous avez reçu l'esprit
d'adoption des fils, en qui nous crions: Abba, Père."
L'abbé ne doit rien enseigner, rien établir ni prescrire qui ne soit conforme aux préceptes du Seigneur; mais ses ordres et son enseignement répandront un ferment de sainteté dans l'esprit des disciples.
L'abbé se souviendra toujours que son
enseignement comme l'obéissance des disciples seront, l'un et l'autre, soumis au
redoutable jugement de Dieu.
Qu'il sache que l'on imputera comme faute au pasteur tout mécompte que le Père de
famille trouvera en ses brebis.
Dans le cas seulement où le pasteur aura donné tous ses soins à un troupeau turbulent
et indocile, et appliqué tous les remèdes à leurs maladies, il sera disculpé au
jugement du Seigneur et dira avec le Prophète:
"Je n'ai pas caché Ta justice
dans mon coeur, j'ai déclaré Ta Vérité et Ton Salut; mais ils n'en ont fait aucun cas
et ils m'ont méprisé".
Alors la mort même sera le
châtiment suprême des brebis rebelles à ses soins.
Celui qui a reçu le nom d'abbé doit
diriger ses disciples par un double enseignement, c'est à dire montrer tout ce qui est
bon et Saint par des paroles et plus encore par des actes; en paroles il
proposera aux disciples réceptifs les commandements du Seigneur, tandis qu'à ceux qui
sont durs de coeur ou plus frustres, il manifestera par ses actes les préceptes divins.
Tout ce qu'il aura déclaré aux disciples leur être interdit, il montrera par ses actes
qu'il ne faut pas le faire, de peur qu'après avoir prêché aux autres il ne soit
lui-même condamné et que Dieu ne lui dise un jour, à lui qui est en faute:
"Pourquoi proclamer mes lois et
avoir mon Alliance à la bouche ? Toi, tu haïssais la discipline et rejetais derrière
toi mes paroles."
Et:
"Toi qui voyais une paille dans
l'oeil de ton frère, tu n'as pas vu la poutre dans le tien ?."
Que personne ne soit l'objet d'une
discrimination de sa part dans le monastère.
L'un ne sera pas plus aimé que l'autre, excepté celui qu'il aura trouvé
meilleur dans les bonnes actions et l'obéissance.
L'homme de haute naissance ne sera pas préféré à celui qui est issu d'un milieu
modeste, à moins qu'il n'y ait un motif raisonnable.
En ce cas , si l'abbé estime qu'une promotion est justifiée, qu'il la fasse sans tenir
compte du rang dans la communauté; sinon que chacun garde sa place; car
esclave, ou libre, tous nous sommes un dans le Christ, et sous un seul Seigneur nous
portons le joug d'un même service, parce qu'"en Dieu il n'y a pas de partialité".
Notre seul titre à être distingués
auprès de Lui, c'est que nous soyons trouvés à la foi meilleurs que les autres dans les
bonnes oeuvres et plus humbles.
Que l'abbé ait donc pour tous une égale charité et qu'une discipline unique soit
appliquée à tous, compte tenu des
dispositions de chacun.
Dans son enseignement, en effet, l'abbé
doit toujours observer la règle exprimée par l'Apôtre en ces termes: "Reprends, exhorte, réprimande".
C'est à dire mêler selon les circonstances, la douceur à la sévérité et montrer
tantôt la rigueur du maître, tantôt la bonté du père .Autrement dit, il doit
reprendre vertement les indisciplinés et les turbulents, tandis qu'il exhortera les
obéissants, les doux et les patients à faire de mieux en mieux.
Quand aux négligents et aux arrogants, nous l'incitons à les réprimander et à les
châtier.
Il ne fermera pas les yeux sur les fautes
des délinquants; mais dès qu'elles paraîtront, il les retranchera radicalement, tant
qu'il le peut, se souvenant des malheurs d'Héli, grand prêtre de Silo.
Pour corriger les esprits droits et intelligents, il se contentera d'une ou deux
admonestations; mais les mauvais, les durs, les orgueilleux et les désobéissants, il les
contraindra par les verges ou par un autre châtiment corporel, dès qu'ils feront le mal,
sachant qu'il est écrit: "L'insensé
ne se corrige pas par des paroles" et:"Frappe de verges ton ton fils, et tu
délivreras son âme de la mort."
L'abbé doit toujours se souvenir
de ce qu'il est, se souvenir du nom qu'il porte, et savoir qu'on exige d'avantage de
celui à qui on confie d'avantage.
Qu'il sache aussi combien est difficile et ardue la tâche qu'il assume de conduire des
âmes et de se plier aux caractères multiples: pour celui-ci la douceur, pour celui-là
des réprimandes, pour telle autre la persuasion.
Il se conformera et s'adaptera à tous selon les dispositions et l'intelligence de chacun,
si bien que non seulement il ne pâtira d'aucun dommage du troupeau dont il a la charge,
mais qu'il se réjouira de l'accroissement d'un bon troupeau .
Avant tout, qu'il ne perde pas de vue ni ne
sous-estime le salut des âmes qui lui sont confiées, en donnant plus de soins aux choses
passagères, terrestres et caduques; mais qu'il pense toujours que ce sont des âmes qu'il
a reçues à diriger et dont il lui faudra rendre compte.
Et pour ne pas prétexter une
éventuelle insuffisance de ressources il se souviendra qu'il est écrit :" Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et Sa
Justice, et tout cela vous sera surajouté" ,
et encore :"Rien ne manque à
ceux qui Le craignent."
Qu'il le sache, il a reçu des âmes à
diriger et doit donc se préparer à en rendre compte.
Quelque soit le nombre des frères dont il se sait responsable, qu'il tienne pour certain
qu'au jour du Jugement il devra répondre au Seigneur de toutes ces âmes, et aussi, sans
nul doute, de la sienne.
Ainsi, redoutant toujours l'examen qu'un pasteur doit subir au sujet des brebis qui lui
ont été confiées, il est d'autant plus soucieux de ses propres comptes qu'il doit
surveiller ceux des autres; et tandis que, par ses avis, il travaille à la correction
d'autrui, lui-même se corrige de ses vices.
Le recours au conseil des frères
Chaque fois que des affaires importantes
devront se traiter au monastère, l'abbé convoquera toute la communauté et dira
lui-même de quoi il s'agit.
Après avoir entendu l'avis des frères, il réfléchira et fera ce qu'il juge le plus
utile.
Nous disons que tous doivent être appelés au conseil, car souvent le Seigneur révèle
à un jeune ce qui est préférable.
Les frères donneront leur avis en toute humilité et soumission et ne se permettront pas
de défendre âprement leur manière de voir; c'est à l'abbé de décider et, selon ce qu'il aura jugé être le plus salutaire, tous lui
obéiront.
Mais s'il convient aux disciples d'obéir au maître, il revient à celui-ci de disposer
toutes choses avec prévoyance et équité.
En toutes choses, donc, la Règle sera pour
tous le maître à suivre et nul n'aura la témérité de s'en écarter.
Personne au monastère ne suivra la
volonté de son propre coeur; et nul non
plus n'osera contester avec son abbé effrontément, même hors du monastère.
Si quelqu'un avait cette audace, qu'on le soumette aux sanctions de règle.
Ce pendant l'abbé lui-même fera tout avec crainte de Dieu et conformément à la Règle,
sachant qu'il devra, sans aucun doute, rendre compte de toutes ses décisions à Dieu, le
juge souverainement équitable.
Dans le cas d'affaires de moindre importance pour les besoins du monastère, il prendra seulement conseil des anciens, selon ce qui est écrit: Fais tout avec conseil et, après l'avoir fait, tu ne le regretteras pas .
Les instruments à mettre en oeuvre pour le Bien
Avant tout, aimer le Seigneur Dieu de tout
son coeur, de toute son âme et de toutes ses forces;
ensuite le prochain comme soi-même.
Puis ne pas commettre de meurtre
ni d'adultère
ni de vol.
Pas de convoitise
ni de faux témoignage.
Honorer tous les hommes
et ne pas faire à autrui ce qu'on ne veut pas qu'on nous fasse.
Renoncer à soi-même pour suivre le Christ.
Châtier le corps
ne pas s'attacher aux plaisirs
aimer le jeûne.
Soulager les pauvres
vêtir celui qui est nu
visiter le malade
ensevelir le mort.
Secourir celui qui est dans l'épreuve
consoler l'affligé.
Se faire étranger aux agissements du monde.
Ne rien préférer à l'Amour du Christ.
Ne pas se mettre en colère
Ne pas se réserver un temps pour la vengeance
Ne pas garder de fourberie dans le coeur
Ne pas donner une paix simulée
Ne pas abandonner la charité
Ne pas jurer de peur qu'on en vienne à se parjurer
Exprimer la vérité de coeur et de bouche
Ne pas rendre le mal pour le mal
Ne pas faire de tort mais supporter avec patience les torts qui nous sont faits
Aimer les ennemis
Ne pas maudire ceux qui nous maudissent, mais plutôt les bénir
Soutenir persécution pour la Justice
Ne pas être orgueilleux
Ni bon buveur
Ni gros mangeur
Ni grand dormeur
Ni paresseux
Ne pas être porté à se plaindre
Ni à dénigrer
Mettre en Dieu son espérance
Si l'on voit quelque bien en soi-même , l'attribuer à Dieu et non à soi
Mais le mal, savoir qu'on en est toujours l'auteur et le réputer sien .
Craindre le jour du jugement
Redouter l'enfer
Désirer la vie éternelle en toute avidité spirituelle
Avoir chaque jour la mort sous les yeux
Veiller à tout heure sur les actes de sa vie
En tout lieu se savoir avec certitude sous le regard de Dieu
Briser aussitôt contre le Christ les pensées mauvaises qui surgissent dans le coeur, et
les dévoiler au Père spirituel
Garder sa bouche de tout propos mauvais ou inconvenant
Ne pas aimer beaucoup parler
Ne pas dire de paroles vaines ou qui portent à rire
Ne pas aimer rire beaucoup ni aux éclats
Écouter volontiers les lectures saintes
S'adonner fréquemment à la prière
Confesser chaque jour à Dieu dans la prière ses fautes passées avec larmes et
gémissements, et s'en corriger à l'avenir
Ne pas céder aux désirs de la chair
Haïr la volonté propre
Obéir en tout aux ordres de l'abbé, m^me si par malheur il agissait autrement, se
souvenir du précepte du Seigneur:
ce qu'ils disent faites-le, mais ne faites pas ce qu'ils font.
Ne pas vouloir être dit Saint avant de
l'être, mais commencer par l'être pour qu'on le dise avec vérité.
Accomplir chaque jour effectivement les préceptes de Dieu.
Aimer la chasteté
Ne haïr personne
Ne pas avoir de jalousie
Ne pas agir par envie
Ne pas aimer la dispute
Fuir la prétention
et vénérer les anciens
Aimer les jeunes
Par amour du Christ, prier pour ses ennemis
En cas de discorde, rétablir la paix avant le coucher du soleil
Et ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu.
Tels sont les instruments de l'art spirituel.
Quand nous les restituerons au jour du jugement, si nous les avons mis en oeuvre sans
relâche, jour et nuit, en retour nous recevrons alors du Seigneur le salaire que
lui-même a promis: Ce que l'oeil n'a
pas vu, ni l'oreille entendu, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment.
Quand à l'atelier où nous oeuvrons
diligemment à tout cela, c'est l'enceinte du monastère avec la stabilité dans la
communauté.
L'obéissance
Le premier degré d'humilité est
l'obéissance sans délai.
Elle caractérise ceux qui estiment n'avoir rien de plus cher que le Christ.
A cause du service saint dont ils font profession, par peur de l'enfer ou pour la gloire
de la vie éternelle, dès que le supérieur a donné un ordre, comme si l'ordre était de
Dieu, ils ne sauraient souffrir de délais dans l'exécution.
De ceux-là le Seigneur dit:Dès que
son oreille a entendu, il m'a obéi.
Et il dit aussi à ceux qui enseignent Qui vous écoute m'écoute.
De tels disciples quittent sur le champ
leurs occupations et abandonnent leur
propre vouloir; les mains
aussitôt libres, ils laissent inachevé ce qu'ils étaient en train de faire.
Leur obéissance emboîte le pas de celui qui commande pour accomplir sa parole, et au
même instant pour ainsi dire, l'ordre du maître est exprimé et l'oeuvre du disciple
achevée, les deux choses se déroulant ensemble grâce à la célérité qu'inspire la
crainte de Dieu.
Ceux-là, l'amour les presse d'accéder à la vie éternelle.
C'est pourquoi ils embrassent la voie étroite dont le Seigneur dit: Étroite est la voie qui mène à la Vie.
Ainsi ne vivant pas à leur guise et
n'obéissant ni à leurs désirs ni à leurs plaisirs, mais marchant au jugement et au
commandement d'un autre, ils habitent dans des monastères et désirent avoir un abbé à
leur tête.
Sans aucun doute , ceux-là se conforment à la sentence du Seigneur où il dit :Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la
volonté de Celui qui m'a envoyé.
Cette obéissance sera agréable à Dieu et
douce aux hommes si l'ordre donné est exécuté sans tergiversation, ni lenteur , ni
mollesse, sans plainte ni contradiction, car l'obéissance qu'on témoigne aux supérieurs
s'adresse à Dieu; lui même a dit en effet: Qui vous écoute m'écoute.
Et il faut que les disciples
obéissent de bon coeur, parce que Dieu
aime celui qui donne avec joie.
De fait, si le disciple obéit de
mauvais gré et s'il se plaint même seulement dans son coeur, il a beau accomplir
l'ordre, il ne sera pas agréé de Dieu qui voit son coeur mécontent, et pour un tel acte
il n'obtient aucune récompense; bien plus il encourt la peine des récalcitrants, à
moins qu'il ne se corrige et ne fasse réparation.
La garde du silence
Faisons ce que dit le Prophète: Je me surveillerai pour ne pas pécher de ma
langue; j'ai mis une garde à ma bouche, je me suis tu, je me suis humilié et je me suis
abstenu des paroles bonnes.
Le Prophète montre ici que , si l'on
doit parfois retenir des paroles bonnes par souci du silence, combien plus doit -on
renoncer aux paroles mauvaises à cause de la punition du péché.
Donc, même s'il s'agit de propos bons, saints et édifiants, en raison de l'importance du
silence, on accordera rarement aux disciples parfaits la permission de parler, car il est
écrit: Dans le flot de paroles, tu n'éviteras pas le
péché.
Et ailleurs: La mort et la vie sont au pouvoir de la langue.
Il revient en effet au maître de parler
et d'enseigner; se taire et écouter convient au disciple.
C'est pourquoi s'il y a des choses à
demander au supérieur, qu'on le fasse en toute humilité et soumission respectueuse.
Quant aux facéties, aux paroles frivoles ou qui provoquent le rire, nous les condamnons
et bannissons à tout jamais et en tout lieux, et pour de tels propos nous ne permettons
pas aux disciple d'ouvrir la bouche.
L'humilité
L'écriture divine, frères, nous crie cette
parole : Quiconque s'exalte sera humilié, et qui
s'humilie sera exalté.
En disant cela, elle nous montre que que
tout exaltation de soi-même est un genre d'orgueil et c'est ce que le Prophète
déclarait éviter quand il disait : Seigneur, mon coeur ne s'est pas exalté et je
n'ai pas eu de regards prétentieux; je n'ai pas marché dans un chemin de grandeurs et de
merveilles qui me dépassent .
Mais pourquoi ? C'est que si je n'avais pas d'humbles sentiments, si
j'exaltais mon âme, tu la traiterais comme un nourrisson qu'on sèvre de sa mère .
Si nous voulons donc, frères, atteindre le
sommet de la plus haute humilité et parvenir promptement à cette exaltation céleste
où l'on accède par l'humilité de la
vie présente, il faut dresser et gravir
par nos actes cette échelle qui apparut en songe à Jacob et sur laquelle il voyait des
anges descendre et monter.
Sans aucun doute cette descente et cette montée ne signifient rien d'autre, selon nous,
sinon qu'on descend par l'exaltation de
soi et qu'on monte par l'humilité.
L'échelle ainsi dressée, c'est notre vie en ce monde que le Seigneur dresse vers le ciel
pour le coeur humilié.
Car nous disons que les montants de cette échelle sont notre corps et notre âme; dans
ces montants sont insérés divers échelons d'humilité et d'observance que Dieu nous
appelle à gravir.
Le premier échelon de l'humilité est donc de se mettre constamment devant les yeux la crainte de Dieu en
évitant absolument l'oubli et en se souvenant toujours de tout ce que Dieu a prescrit.
Que l'esprit rumine ainsi sans cesse la manière dont l'enfer brûle, à
cause de leurs péchés, ceux qui méprisent Dieu, et la Vie éternelle préparée pour
ceux qui craignent Dieu.
Se gardant à toute heure des péchés et des vices, ceux des pensées, de la langue, des
mains, des pieds et de la volonté propre, et aussi des désirs de la chair, l'homme
pensera que, du ciel, Dieu l'observe à toute heure et qu'en tout lieu ce qu'il fait est
vu par le regard divin et lui est rapporté à tout moment par les anges.
La preuve nous en est donnée par le Prophète, quand il montre Dieu toujours
présent à nos pensées: Dieu,
scrute les coeurs et les reins; et de même: Le Seigneur connaît les pensées de l'homme. Il
dit aussi: Tu as compris de loin mes
pensées; et :
La pensée de l'homme te sera révélée.
Aussi, pour être vigilant à l'endroit
de ses pensées mauvaises, le frère avisé dira toujours dans son coeur: C'est alors que je serai sans tache devant Lui, si je
me garde de mon péché.
Quant à la volonté propre, l'Écriture nous
défend de l'accomplir en disant: Détourne-toi
de tes volontés.
De même nous demandons à Dieu
dans la prière que Sa Volonté soit faite en nous.
C'est donc à juste titre que nous sommes exhortés à ne pas faire notre volonté, si
nous prenons garde à ce que dit l'Ecriture: Il est des chemins qui paraissent droits aux hommes
mais qui aboutissent aux profondeurs de l'enfer et si nous redoutons ce
qui est dit des négligents: Ils se
sont corrompus et rendus abominables en leurs jouissances.
Face aux désirs de la chair, croyons aussi
que Dieu nous est toujours présent, puisque le Prophète dit au Seigneur: Devant Toi est tout mon désir.
Il faut donc se garder du désir mauvais, car la mort est postée au seuil du plaisir; de
là ce précepte de l'Écriture: Ne
suis pas tes convoitises.
Si donc les yeux du Seigneur observent les
bons et les méchants, si du ciel le Seigneur regarde toujours les fils des hommes pour
voir s'il en est un d'intelligent qui cherche Dieu; si enfin les anges qui nous sont
assignés rapportent quotidiennement au Seigneur ce que nous faisons de jour et de nuit,
alors il faut à toute heure, frères, être sur nos gardes, de peur que, comme dit le
Prophète dans le Psaume, Dieu ne nous voie à un moment quelconque tomber dans le mal et
devenir bons à rien.
Tout en nous épargnant en cette vie, parce qu'il est bon et qu'il attend que nous
revenions à mieux, il pourrait nous dire plus tard: Voilà ce que tu as fait, et Je me suis tu.
Le deuxième échelon de
l'humilité est de ne pas aimer sa volonté propre et de ne pas se complaire dans
l'accomplissement de ses désirs, mais d'imiter en actes ce qu'a dit le Seigneur: Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la
volonté de Celui qui m'a envoyé.
Il est écrit également: Le
plaisir encourt le châtiment et la contrainte produit la couronne .
Le troisième échelon de l'humilité est de se soumettre en toute obéissance pour l'Amour de Dieu au supérieur, imitant le Seigneur dont l'Apôtre dit: Il s'est fait obéissant jusqu'à la mort.
Le quatrième échelon de
l'humilité est d'avoir à obéir à des ordres durs et rebutants, voire même à souffrir
toutes sortes de vexations, et de savoir alors garder patience en silence, tenant bon sans
se lasser ni reculer car l'Écriture dit:
Qui persévérera jusqu'au bout, celui-là sera sauvé et encore: Affermis ton coeur et supporte le Seigneur.
Afin de montrer que le disciple fidèle doit
tout endurer pour le Seigneur et jusqu'aux pires contrariétés, l'Écriture dit aussi en
la personne de ceux qui sont éprouvés:
A cause de Toi nous sommes condamnés à mourir tout le jour, traités comme des brebis à
abattre.
Et dans l'Espérance assurée de la récompense divine, ils poursuivent en disant
joyeusement: Mais toutes ces choses
nous les surmontons à cause de Celui qui nous a aimés.
Ailleurs l'Écriture dit aussi: Tu nous as éprouvés, ô Dieu, contrôlés au
feu comme on vérifie au feu l'argent; Tu nous as menés dans un piège, Tu nous as
accablés de tribulations.
Que nous devions être sous un supérieur, la
suite du Psaume le montre: Tu as mis
des hommes à notre tête.
Mais ils accomplissent encore le précepte du
Seigneur par la patience dans les adversités et les injures; à qui les
frappe sur une joue, ils tendent encore l'autre; à qui leur ôte la tunique, ils
abandonnent aussi le manteau; requis pour un mille , ils en font deux; avec l'apôtre Paul ils supportent les faux frères et bénissent ceux
qui les maudissent.
Le cinquième échelon de
l'humilité est de ne pas cacher mais de confesser humblement à son abbé toutes les
pensées mauvaises qui surgissent dans le coeur et les fautes commises en secret.
L'Écriture nous y exhorte quand elle dit:
Révèle ta conduite au Seigneur et espère en Lui.
Elle dit encore: Avouez au Seigneur, parce qu'Il est bon et parce
que Sa miséricorde est à jamais.
Et le Prophète dit aussi: Je t'ai fait connaître mon péché et je n'ai
pas dissimulé mes injustices. J'ai dit: Je dénoncerai contre moi mes offenses au
Seigneur; et Toi, Tu m'as pardonné l'impiété de mon coeur.
Le sixième échelon de l'humilité est que le moine soit content en tout abaissement et dénuement, et qu'en tout ce qui lui est enjoint, il se juge comme un mauvais et indigne ouvrier, se disant avec le Prophète: J'ai été réduit à rien et je ne sais rien; je suis devenu comme une bête devant Toi, mais je suis toujours avec Toi.
Le septième échelon de
l'humilité est non seulement de se dire des lèvres inférieur à tous et le plus
misérable, mais aussi de le croire du fond du coeur, en s'humiliant et en disant avec le
Prophète: Moi je suis un ver et non
un homme, l'opprobre des hommes et le rebut du peuple; j'ai été exalté, puis humilié
et couvert de confusion.
Et encore: Il est bon que Tu m'aies humilié pour que j'apprenne tes
commandements.
Le huitième échelon de l'humilité est que le moine ne fasse rien qui ne soit recommandé par la règle commune du monastère et l'exemple des anciens.
Le neuvième échelon de
l'humilité est que le moine sache retenir sa langue et garde le silence sans rien dire
tant qu'il n'est pas interrogé.
Car l'Ecriture atteste que : dans le
flot de paroles on n'évite pas le péché et que le bavard ne marche pas droit sur la terre.
Le dixième échelon de l'humilité est de ne pas être enclin ni prompt à rire, car il est écrit: le sot, quand il rit, élève la voix.
Le onzième échelon de l'humilité est que le moine, quand il parle, le fasse doucement et sans rire, humblement et sérieusement, en peu de mots, raisonnablement et sans éclats de voix, selon ce qui est écrit: Le sage se reconnaît à ce qu'il parle peu.
Le douzième échelon de
l'humilité est que le moine manifeste toujours l'humilité de son coeur jusque dans son
corps au regard d'autrui, c'est à dire qu'à l'office divin, à l'oratoire et partout
dans le monastère, au jardin, en chemin, aux champs et n'importe où, assis, en marche ou
debout, il ait toujours la tête inclinée et les yeux baissés.
S'estimant à toute heure coupable de ses péchés et comparaissant déjà au redoutable
jugement, qu'il répète toujours dans son coeur ce que le publicain de l'Évangile disait,
les yeux baissés: Seigneur, je ne
suis pas digne, moi pécheur, de lever les yeux vers le ciel, et
de même avec le Prophète: Je me
suis courbé et profondément humilié.
Ayant donc gravi tous ces échelons
d'humilité, le moine parviendra bientôt à cette charité de Dieu qui,
dans sa perfection, bannit la crainte.
Grâce à elle, tout ce qu'il n'observait pas sans frayeur auparavant, il commence à le
garder sans aucune peine , comme naturellement, par habitude, non plus par peur de l'enfer
mais par amour du Christ, par l'entraînement au bien et par goût des vertus.
Voilà ce que le Seigneur daignera dès lors manifester, par l'Esprit Saint, en son
ouvrier purifié des vices et des péchés.
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