Absence.. et Permanence ....

 

Ce texte s'inspire des idées  que  Georges- Arthur Goldschmidt développe avec autant de talent que de justesse dans son ouvrage " En présence du Dieu Absent" paru chez Bayard dans la Collection " à la recherche du Dieu absent"
et dont je vous souhaite la lecture. La plus part des citations  sont tirées de ce livre.

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Quelle étrange chose que cette permanence de l'idée de Dieu dans la pensée humaine...
ne trouvez vous pas ?
son universalité géographique , comme sa pérénité dans le temps méritent pourtant l'interrogation...
Idée de Dieu...
que l'on juxtapose avec ce sentiment perçu au fond de soi même intimior intimo meo comme le dit si bien Augustin et que l'on ressent sous des sensations diversement interprétées par chaque méditant lors de l'expérience de l'Advaïta ou de l'Eveil...
vocable, idée qui perdure malgré le matérialisme ambiant et les progrès inexorables de la science...
 perpétuel recommencement d'une interrogation qui traverse sans pause toute l'histoire de l'humanité
tout en en révélant constamment son impossible aboutissement:
concept ou vocable d'où  l'idée s'absorbe elle même pour sans cesse renaître...   (...)

Georges- Arthur Goldschmidt se confie ainsi dans son excellent livre : "En présence du Dieu absent" et  ajoute

"J'avais gardé ma foi intacte... mais je ne croyais plus.
Ma foi c'était l'émerveillement quotidien, la jubilation de vivre encore car chaque jour de vie était comme
un cadeau que l'on m'avait fait
chaque jour j'éprouvais l'étonnement de vivre.
En plus il y avait en moi cette conscience, commune à tout être humain d'être homme, d'être en possession du miracle de l'esprit.
la foi n'a pas besoin d'objet, elle ne nécessite nulle croyance.
On peut avoir la foi sans croire en rien
On n'a pas besoin de Dieu pour avoir la foi..."

Et si c'était cela simplement ce qu'on appelle Dieu, ?
cette foi 
cette foi toute seule 
sans contenu sans raison sans but,
 simplement elle ?

Car s'il existe un vrai Dieu nous l'avons si souvent proclamé au travers de ce site consacré à la spiritualité vraie et à la suite d'Eckhart et de  tous les mystiques ce Dieu est ineffable, indicible, inconnaissable par simple définition...
comment d'ailleurs prétendre  soumettre Dieu à une quelconque définition ?
dire ne fût-ce que "IL" ...
ou lui donner des attributs  ? ... fût-ce l'Absolu ...
c'est à coup sur déjà rentrer dans son propre rêve...

Mais écoutons encore Goldschmidt nous parler de LUI :

" Dieu est infiniment bon" est à soi seul une absurdité logique sinon linguistique.
Comment Dieu pourrait-il avoir des qualités proprement humaines et reconnaissables pour telles ?
S'il en était ainsi il serait justement un homme identifiable et en tant que tel objet de connaissance..."

Tout se passe pour les différentes sciences théologiques comme si il pouvait y avoir un accès à Dieu par la pensée, la conceptualisation, le raisonnement.. et donc par le langage et son organisation verbale...
comme si il pouvait y avoir aussi bien un Dieu bon qu'un Dieu méchant,
 un Dieu gai et un Dieu triste, 
un Dieu rempli d'émotion de colère, de pitié, de vengeance ...ou de justice des hommes...que l'on appelle dès lors justice divine... et à laquelle on va se référer pour une nouvelle justice humaine en toute bonne conscience et sans réfléchir...
nous voyons la spirale sans fin d'une telle démarche...et son absurdité si fréquente

"Mais si Dieu existait on ne saurait même pas que s'interroger sur lui fût possible " nous dit le même auteur

Dieu si il est ne peut que s'éprouver ou se chercher comme horizon nécessaire
dans cette perpétuelle fuite, cette poursuite insensée que l'homme entreprend dès sa plus tendre enfance à la recherche de Celui qui pourrait seul physiquement et intellectuellement  le combler...
à la recherche de lui même parallèlement et dans le même mouvement

Tout individu a éprouvé un jour à sa manière ce sentiment de l'existence si cher à Rousseau
cette constatation de soi qui ne connaît rien qu'elle, 
ce point infini, sans dimensions, sans contenu... qui n'est que ce point même...

...et toute la pensée humaine a toujours tendu vers ce point ultime,
 ce point très simple et inaccessible...que chantait ainsi Silésius...de manière si énigmatique pour certains

" Dieu n'est rien que du néant
nul ici, nul maintenant ne le touche
Plus tu tentes de le saisir plus il t'échappe
-
En Dieu rien n'est connaissable: il est uni en un
-
Ce qu'on reconnaît en lui, il le fait être soi même
-
Dieu est ce qu'il est, je suis ce que je suis
Mais si l'un tu le connais bien, tu me connais moi et lui"

(Angelus Silésius)

 

et dès lors n'est-on point  en droit de se poser la question:
Dieu ne serait-il pas cette Inéluctable Présence de ce Soi anonyme que chacun partage avec tout le monde...
cet atman qu'invitent à rechercher les penseurs hindous ?
Question dont la réponse est évidente pour ceux qui sont arrivés à l'advaïta ou à l'Éveil mais que l'on peut poursuivre ainsi que le fait Goldschmidt:

" ce prodige d'être qu'aucune langue ne saurait traduire puisque c'est chacun qui la parle (...)
 au fond de tout homme il y a cet indicible soi, ce "point originaire" cette "indémontrable identité"
 qui fait que chacun est lui,  et à laquelle on a pendant des millénaires donné le nom de Dieu...
 afin d'écarter l'individu de lui même...
 et de le réduire à l'obéissance de l'autorité en place (...) 
Cette découverte que tout être humain fait de ce point insondable et infini qu'il est lui même est  vertigineuse et inéluctable(...)
et  nous n'appelons " Dieu" peut-être rien d'autre que cette Présence...
Présence de nous-même à nous même."

 Une Présence qui ne se manifeste comme telle que "derrière" les idées qui nous viennent ...
 les pensées que nous avons...
 ou les situations que nous vivons...

"Je suis le seul à être le "je" de mon "je", 
le seul a être "personne",
 le seul à me sentir exister, 
en deçà même du moi,
 réduit à cette seule constatation vide... mais sur laquelle tout s'édifie,
 constatation que je partage avec chacun"


Ainsi... chacun est à l'intérieur de ce cercle permanent de la perception qu'on emporte partout autour de soi et qu'on ne peut franchir nulle part....et que l'on nomme le moi...
manière de se définir...ou de s'étiqueter soi même peut-être...à moins que ce soient les "autres" qui nous aient collé l'étiquette pour mieux nous appréhender, nous saisir dans notre mystère unique de notre personne
 mais aussi limiter notre liberté de penser ou d'action toujours si dangereuse dans les sociétés organisées et admiratives d'elles mêmes...et en recherche de pérennité et de domination...

Mais peut être ce cercle n'est- il qu'illusion comme le prétendent nos frères orientaux ?
suis-je une étiquette, suis-je  mon nom ?
suis-je ma situation ou mon compte en banque...
suis-je mes connaissances, mes diplômes , mon savoir faire ?
tout...et  rien de tout cela ?
...et ce moi n'est-il pas pur néant comme le prétend Eckart  ?...du moins dans sa véritable existence... tant ce moi n'est en fait que la résultante de diverse interactions qui l'ont formé ?
tant ce moi est impermanent toujours ballotté par ces causes éphémères ?
et donc sans essence véritable...

 L'exploration du moi peut facilement détourner celui qui s'y livre de ce qu'on attend de lui ,car il ne peut  "se regarder passer dans la rue"
Voué dès lors à l'inutile, au non rentable il "raisonne" en proie à l'insondable Mystère de lui même;
 plus inaccessible encore que Dieu...à moins que Dieu ne  soit cela...

"Seuls les philosophes ont tenté ça et là de plonger parfois dans cet abîme si proche qu'il en est aveuglant,
 pellicule indétachable et invisible et ressenti l'inquiétude de ce fond de la pensée...
 si proche qu'il en devient inaccessible,
 à la fois terrifiant et fascinant...
 plus fascinant que n'importe quelle idée de Dieu(...)"

Mais...

Tous se heurtèrent à cette frontière qu'ils sont  à eux mêmes,
 comme si l'homme était le bord de l'infini 
 le plus intime de lui même est aussi ce qu'il y a de plus inexprimable...

Car...

Il y a bien plus insondable que Dieu,...
c'est cette Présence de chacun à lui même, cette "personne" anonyme. que nous croyons éprouver ou connaître...

" Il n'y a personne"
 est un phrase plus mystérieuse et plus étonnante encore que "Dieu existe"
 ( avec ce verbe exister absurde en l'occurrence).
 
"L'objet de toute recherche  philosophique n'est rien d'autre que ce point intime constant et plus insondable que tout et que l'on nomme  Dieu (...)"

Alors si la voie de la raison conduit à une impasse ou du moins un abîme insondable on aime à se tourner  vers les mystiques qui eux pas à pas...par introspection ou par grâce, refusent de conceptualiser, de penser et de réfléchir et se contentent de sentir, de ressentir, d'éprouver, de vivre même de l'Absolu...
et quand ils y réussissent... parfois au delà de tout conceptualisable dans une inoubliable illumination, en un éveil sur la Réalité Ultime et la globalité dernière des choses comment pourraient-ils le dire ?
 
"Les grand mystiques ne disent jamais de ce dont ils parlent mais toujours de ce qu'ils manquent..."

"La plus part du temps la pensée mystique aboutit à un basculement sur l'indicible,
 sur l'inaccessible,
 contenu premier et ultime à la fois. 
Pensée audacieuse qui abolit son objet rien qu'en le pensant....

 La pensée mystique absorbe son objet dans sa pensée, elle est trajet sans véhicule..ou véhicule sans trajet.
 Elle est à elle même sa propre distance
 et ne commence véritablement que là où les gardes -fous se dérobent,
 là donc où Dieu cesse d'être un recours, une assurance, 
là donc où le doute s'instaure.(...) 
et le fond de la pensée est muet"

 

Nul ne l'a dépeint avec autant de précision que Kafka peut-être ce fond de la pensée quand il écrit  

" Il a le sentiment que du fait qu'il voit il se barre le chemin. 
Mais de cet empêchement il tire en retour la preuve qu'il vit"

 ou encore
 
" son propre front lui barre le chemin, il s'ensanglante le front à son propre front"

 ou bien

 "l'irréductible est un; chaque être humain l'est et en même temps cela est commun à tous, d'où l'inséparable liaison sans exemple des êtres humains entre eux"

 

Ainsi Kafka affronte-t-il à notre place un abrupt qui nous brûle les yeux...
pour nous c'était insoutenable,
et nous nous sommes empressés d'interposer des interprétations...
l'idée de Dieu n'en est-elle pas une ?

Ainsi en d'autres termes l'irréductibilité de chacun est commune à tous et n'est ce point cela que l'humanité s'est évertuée à appeler Dieu ?

Ainsi donc l'énigme n'est pas Dieu,  mais c'est chacun
Tout le Mystère...mystère de l'humain... est détenu par chacun...

 

Mystère de la personne

 Silence irréductible et terrible que chaque homme recèle et que personne ne connaît ni peut connaître... mais peut-être seulement approcher...en approchant  l'autre ...
le sacré n'en est peut-être qu'une expression dérivée, 
un écran devant la sainteté de chaque être humain, 
de chaque être singulier et irremplaçable, inaccessible dans ce "quant à soi" 
et dont la généralité n'est établie que par le particulier

  Kafka  nous compte ainsi cette petite fable

" Ah ! dit la souris, tous les jours le monde devient plus étroit
Au début il était si vaste que j'avais peur, 
je courrais et était heureuse de voir enfin à droite et à gauche des murs au loin,
 mais ces longs murs allaient à une telle vitesse l'un vers l'autre que me voilà déjà dans la pièce du fond...
et là bas dans le coin il y a le piège vers lequel je me précipite..."

" Il te faut simplement changer de direction dit le chat... et il la croqua"


Nous pourrions laisser cette fable à la manière d'un koan...
pour y laisser la méditation dans le silence se faire...
et puis mûrir encore jusqu'à un éveil qui ne serait point global... mais intellectuel

Mais ce temps...l'avons nous encore ?
Savons nous le prendre ou l'oser ?

"Kafka semble montrer ici comment la question du Soi se déploie, enclose en elle même, engendrant son propre déroulement et l'absorbant en elle
 les cachettes sont innombrables écrit-il par ailleurs
 de salut il n'y en a qu'un...
mais de possibilité de salut en revanche autant que de cachettes (...) "
et le piège de nommer ou de mettre un paravent , une réponse simple devant le Mystère...tel est le piège

Dieu est un mot qui autorise toutes les dérives puisqu'il est sans contenu. 
Dieu est un mot valise dans lequel on peut tout mettre...
et devant cet échec reste la répétition constante de la même tentative de pensée...
 ou plutôt son perpétuel ensevelissement par elle même au cours des âges
C'est son échec qui perpétue une telle pensée, son rien et son tout
C'est de se savoir vaine qui la tente et la fait être.


mais au bout à chaque fois il y a le chat... !

: "nous connaissons qu'il y a un infini et ignorons sa nature nous dit Pascal
Comme nous savons qu'il est faux que les nombres soient finis, donc il est vrai qu'il y a un infini en nombre.
 mais nous ne savons ce qu'il est: il est faux qu'il soit pair, il est faux qu'il soit impair..."

 " S'il y a un Dieu, il est infiniment incompréhensible, puisque n'ayant ni partie , ni bornes il n'a nul rapport à nous "

 (...) toute pensée de cette sorte s'engloutit littéralement en elle même, comme si l'être l'anéantissait (...) précisera à nouveau Goldschmidt qui poursuit ainsi

"Ainsi à mon insu m'habite une foi sans objet, que je ne peux définir et qui ne croit en rien, car il est possible, le français permet ici de nécessaires et subtiles distinctions de garder foi sans croire..."

"Croire est nécessairement transitif, on croit en quelque chose et c'est ce quelque chose qui ne résiste jamais au doute, d'où en contre partie la véhémence des affirmations
Mais la foi n'en est que plus grande, elle est d'autant plus fervente qu'elle est sans objet
il y a simplement cet exister, cet être là, ce miracle quotidien
ce don incompréhensible de vivre, à côté de quoi tout le reste est sans importance.
la foi est sa propre source, sa propre permanence..."

"Peut-être ceux qui y croient appellent-t-ils Dieu ce dont des millénaires de contrainte les ont systématiquement écartés
 à savoir: l'étonnement d'être,cet Ouvert...cette béance
 ce sentiment de l'"existence", 
cette expérience de soi unique et irremplaçable, à la fois impénétrable à quiconque et commune à chacun(...)
 savoir que l'infini existe... et surtout à côté , tout à côté de moi ,puisque chaque être humain, si près qu'il soit est totalement inaccessible dans son identité, dans son "être-lui"...
 or je le sais pourtant être lui comme je suis moi (...)"

Et bien sûr je le trouverai aussi au dedans de moi si je m'enfonce pour essayer de trouver l'origine de mes pensées...puit ou abîme tout aussi inaccessible celui du moi ( du vrai pas de l'ego) ou du soi que certains nomment encore comme Le Saux...
 ou ne nomment pas et savent laisser dans l'infini de la Béance...ou de la Présence

"Présence bien plus énigmatique et plus saisissante que tout Dieu...à moins que Dieu ne soit homme
car
L'énigme c'est l'homme, l'irréductibilité de l'autre là à côté de moi, si proche et inaccessible dans la façon qu'il a d'être intérieur à lui même, d'être son propre "Je"
C'est là l'énigme fondatrice, c'est elle que l'on a affublée du nom de Dieu, et c'est elle que l'on a toujours pourchassée, torturée, pour qu'elle fasse allégeance à ce qui n'est pas elle"

Avons nous là la clé de ce vocable par lequel aimait à se nommer le Nazaréen ?
Je suis le fils de l'homme...tout en laissant penser (du moins ce ce que les hommes en on fait) qu'il était vraiment le fils de Dieu ?

 car "Toute l'histoire de l'humanité a consisté à détourner l'homme de lui même, peut-être était-ce une condition sine qua non à l'établissement progressif des sociétés humaines
" Dieu" risque bien de n'avoir été que le prête nom de ce détournement...
 et de plus "Dieu" détourne de Dieu quelles qu'en soient les formes ( ...) 
la parole est boiteuse et est destinée à l'être. 
D'où viennent sinon que l'innocent accusé ne puisse établir son innocence?
 N'est-il pas étonnant qu'il ait fallu tant de millénaires et tant d'efforts  pour parvenir tardivement à la formulation du "moi" en dehors des diverses scories qui l'encombrent ?"

"L'omniprésence du concept de Dieu à travers les cultures humaines prouve bien qu'il y a la quelque chose d'inéluctable, qu'il est dans la pensée une Présence à elle même que tout a toujours empêché de se manifester comme telle...
mais qui de plus est, de ne pas se manifester, prise qu'elle est dans le piège des mots"

 

Le Piège du Langage et des mots

la chose est dite qui fait de la  langue et de l'expression un terrible piège aux fils gluants et invisibles comme comme ceux d' une toile d'araigne et aux mailles qui traduites et retraduites se recouvrent comme un filet  et finissent par détourner complètement la parole et la pensée du message originel
.et je ne parle point ici des traductions de langues mais simplement de l'ennonciation-interprétation qui permet aux hommes d'échanger...
et ce serait d'autant plus vrai si on y ajoute l'espace... et encore plus le temps ! 
comment comprendre dès lors un texte ou un message écrit dans une autre langue, pour des hommes d'une autre époque et sous d'autres cieux et une autre civilisation ?
 N'est-ce point là le problème de tous les textes sacrés ?

Goldschmidt va plus loin encore:

"D'où vient que l'innocent accusé ne puisse établir son innocence ?
D'où vient -il que le langage soit impuissant à rendre compte d'une âme ?
Qui donc a jamais cru le langage ?
Comment se fait-il que l'essentiel échappe toujours à ce dernier ?,
 qu'on en reste littéralement suffoqué, ?
 que sa nature soit son inadéquation?"


Et c'est par ce langage- la multiplicité des langues en établit heureusement la relativité-qu'on voudrait nous faire croire que Dieu existe ?
L'absolu de l'objet de croyance serait donc soumis à l'impropriété de l'expression ?
Et c'est par le langage qu'on prétend établir Dieu, alors qu'il ne fait qu'en tracer l'absence !
C'est par le langage qu'on voudrait nous imposer la vérité ?

"L'enfant apprend le doute par l'impossibilité de se libérer de l'opprobre,
 on ne le croit pas d'être lui 
...et on voudrait qu'il croie en "Dieu" ?

"Mon enfance m'a enseigné l'impossible coïncidence entre ma sensation d'être ce que j'avais commis ou pas commis et les langues dont je disposais
Dieu est une faiblesse de langage, comme si d'ailleurs le langage était autre chose que défaillance
Ce qui fait problème c'est le verbe "exister"(...)
 Ludwig Wittgenstein écrit: notre langue est restée identique à elle même et nous détourne toujours vers les mêmes questions
Aussi longtemps qu'il y a un verbe être qui paraît fonctionner comme "manger" et "boire"
aussi longtemps qu'il y aura des adjectifs "identiques", "vrai","faux" "possible"
aussi longtemps qu'on parlera de l'écoulement du temps et d'un espace étendu etc..etc...les hommes se heurteront sans cesse aux mêmes difficultés"

et ajoute-t-il cela leur donnera l'occasion de croire pouvoir regarder par delà les limites de l'intelligence humaine pour mieux se prendre dans les filets qu'ils se tendent à eux même
Je ne peux sauter par dessus mon ombre ou courir plus vite que moi même
et les limites de ma langue sont les limites de mon monde...

Outre ses limites à dire et l'oppression qu'il amène dans le phénomène pensée,
 une oppression organisée celle là et hypocrite utilisée par ceux qui savent ou inconsciemment dominent se fait jour au travers du phénomène des religions

et Goldschmidt d'écrire :

"(...)Les religions ne cessent de se tendre le piège du langage pour y tomber à pieds joints...et surtout y faire tomber leurs ouailles victimes d'abus de langage que depuis le temps il est bien malaisé d'entrevoir mais qui permettent de transmettre toujours le même pouvoir et les mêmes incitations à l'obéissance

A la différence de la pensée intuitive, donnée d'emblée des mystiques et qui se dispense de preuves, la théologie elle est affirmative et tente d'établir son autorité, ainsi que le font les théories politiques, ses héritières en tant que détentrices de la vérité (...) 
elles impliquent tacitement pour se construire  la notion de non contradiction ( propre au monothéisme d'ailleurs) qui conduit à toutes les exclusions, toutes les mises à mort qui ont marqué l'histoire de l'occident

La théologie comme la philo n'existe pas en dehors des textes, elle est donc entièrement dépendante de son expression, des traces de pensée que sont les mots et les phrases, elle est toute faite de son "cynisme théologique"; tous les moyens sont bons pour arriver au
but fixé à l'avance. "

nouveau finalisme de la Pensée

"La structure d'une langue détermine le déroulement de la pensée qui s'y manifeste et détermine donc l'ensemble des faisceaux qui s'en dégagent(...) et les textes sacrés varient à l'extrême d'une langue à l'autre( ...) si l'on songe à la diversité irréductible des langues on peut se demander comment il peut être possible de saisir l'idée de Dieu....(...)

Si Dieu existait il serait universellement et unanimement saisissable(...) comment Dieu pourrait-il être relativisé par la diversité des langues ?(...)

On se sert en fait des langues pour aboutir à ce qui par nature leur échappe( ...) les faire parler de ce dont elle servent à ne pas parler"

Peut-on parler de ce qui est hors d'atteinte ?

Et pourtant toutes nos religions occidentales sont fondées sur l'écrit...
et quand on s'en écarte les autorités religieuses ou politiques sont prompt à vous dire  les dangers et les éventuelles dérives d'une telle attitude 
ainsi en est-il pour les charismatiques qui se fient en l'effusion de l'esprit, le soufisme qui prône l'union mystique et bien d'autres encore tenus en suspicions... les ermites sont de ceux là... les gourous aussi...

"Toute langue étant déjà par nature métaphorique elle ne peut être ce dont elle parle,
 elle ne peut qu'en être le signe
Il y a donc réelle arrogance à prétendre confondre l'objet éventuel avec sa représentation verbale

Tout terme d'une langue la présuppose dans son intégralité,
 il n'y a rien dans une langue qui ne soit de l'ordre de cette langue...et tout ce qu'elle exprime dépend d'elle et réciproquement
et donc l'idée de Dieu ne peut qu'en dépendre... donc est informulable en tant que tel
Et il est étrange que ce soit au langage toujours piégé parce qu'il veut dire qu'il faille recourir pour aborder l'impensable...
Encore une fois: je ne peux penser l'impensable
Peut-on s'imaginer plus dérisoire et plus risible qu'un Dieu pensable, lequel pourrait être abordé en quelque domaine par la pensée et traduit en mots au fil d'un ordre grammatical purement humain?"

Non ! le langage est là pour nous signifier sa défaillance,
 c'est elle qui est parlante, elle est le vide du langage qu'IL est le seul à dire
Par lui seul nous savons ce qu'il manque"
 Quand je vous aurai dit rien, je vous aurai tout dit
n'est-ce pas ce que soutend l'idée de la Création à partir de rien ?

Tout le problème vient de ce qu'on croit les langues sur parole
comme si elles étaient "paroles d'évangiles"
alors qu'elles dissimulent et déforment par nature ce dont elles parlent ...sans le vouloir...

 Ce sont toujours les religions qui se sont emparées de l'idée de Dieu...et ont prétendu en parler en son nom...elles qui s'appuient et vénèrent les écrits...et bien plus imposent et mettent en place à partir des textes leur structure et leur hiérarchie étouffante et détournante

"Or l'idée de Dieu est inscrite au plus profond de la psyché humaine comme une lointaine conscience punissante, un surmoi qui inscrit en chacun des obligations fondamentales de la vie sociale
Dieu a toujours été érigé en instance supérieure verticalement au dessus et cette verticalité n'est rien d'autre que la traduction des structures de commandement (...)"

Comment dès lors concevoir Dieu autrement qu'à travers le déroulement piégé qui le formule?
on dirait que l'idée de Dieu n'est en soi destinée qu'à empêcher le déploiement de la pensée en tant que telle
comme s'il fallait protéger les esprits d'une découverte capitale, celle de leur propre liberté

N'était-ce point le Message d'un certain Nazaréen ?

Peut-être l'idée de Dieu a-t-elle eu pour fonction de mettre le plus intime à l'extérieur du soi...
 comme s'il importait aux autorités de toutes sortes d'entraver l'essentielle découverte que chacun peut faire à la fois de lui même et donc d'autrui...
 comme si Dieu était la mystification ultime

En d'autres termes l'inconscient n'est-il pas ainsi le refuge de tout ce que l'idée de Dieu masquait et empêchait d'aborder ?

"les langues sont des couvertures, des diversions, elles parlent en réalité de tout autre chose que ce dont elles parlent, chacune à sa façon.
La psychanalyse fut la première tentative méthodique pour tenter d'arracher les individus aux fixités de la pensée..."

" si Dieu avait existé il aurait été Dieu de miséricorde...et s'il fallait une manifestation ultime et irréfutable de l'absence de Dieu ce sont bien les pleurs d'un enfant "

"Si à cause des religions on a tant accumulé de supplices et de tourments
si on a tant persécuté les êtres
n'est-ce pas pour en pouvoir percer l'inaccessible secret qui les fait
être eux et qui est l'ultime obstacle au déploiement et à l'exercice du pouvoir?
le sadisme comme le cannibalisme n'est que l'aveu de cette formidable impuissance à venir à bout d'autrui"

et d'en comprendre le Mystère

et puis souvent l'idée de Dieu s'est si souvent confondu avec l'idée de la positivité du sacrifice... demandé par la société , voir le système... pour à bout d'arguments en abattre un autre...
ou avec la productivité qui conduira au bonheur... plus tard, pour d'autres générations... sous d'autres cieux... dans un hypothétique au-delà au nom d'une "cause" sainte
 "productivité heureuse"
tout est sacrifié à un même but... propitiatoire, utilitaire... positif
vieille illusion...
ressort indispensable aux société en cas extrêmes...



Le sacré, froid et extérieur a toujours barré la route à la sainteté, c'est à dire au mystère humain
Or ce qui importe c'est ce qui reste en dépit de tout
ce qui par dessous tout authentique en manifeste l'impropriété
Celui qui la manifeste c'est celui qui parle et échoue à parler...

C'est le manque, le défaut de parole qui est d'essence divine
le creux au fond de toute présence à soi-même, 
ce qui fait parler de ce dont on ne peut parler en d'autres termes
encore une fois l'irréductibilité de tout homme à quoi que ce soit d'autre que lui même
il n'est nul langage pour rendre compte d'une âme

Kafka écrit :"l'observateur de l'âme ne peut pénétrer l'âme, mais il existe un bord où il peut entrer en contact avec elle
Ce qu'on reconnaît par ce contact c'est que l'âme non plus ne sait rien d'elle
il lui  faut donc rester inconnue
Ce serait triste s'il y avait quelque chose d'autre en dehors de l'âme, mais il n'y a rien d'autre..."

C'est ce que les religions... expriment de façon toujours inadéquates, toujours inappropriée (...) aussi moins on imposera de religions et plus Dieu sera présent par la figure même de l'être humain "unique et irremplaçable"

Mettre Dieu en ce monde et quelque soit la sauce religieuse dont on l'accommode montre mieux que tout qu'il est mort une fois pour toutes
Dieu n'est jamais là où on le proclame
jamais là où on  contraint à l'adoration
jamais là où on l'impose
jamais là où on l'affirme
jamais là où on le dit être
jamais là où l'on prie et le fait savoir

Ce que montre en tout cas la présence obsessionnelle de cette question, c'est la part échappée qui constitue la présence de l'être humain à lui même, survivance d'une question à jamais sans réponse
Sa pérennité, sa permanente réapparition parlent simplement de ce qui est irréductible en l'homme et le constitue comme tel
je suis un être humain parce que je persiste à être celui que je suis
La question de Dieu me prouve, moi,
non par sa réponse par définition impossible
mais par la question posée pour n'avoir pas de réponse

Le signe même de l'homme c'est l'absence de réponse, l'absence de vérité
pensée difficile à supporter après des siècles et des siècles de soumission de la pensée aux injonctions collectives
échec de la découverte de lui même...
pour toujours retomber dans l'extension autoritaire de la théorie
pour sacrifier le je au ça ( es= c'est)
le moi doit prendre la place du ça
espace tout entier occupé par ce que nous ne dominons pas et qui nous échappe
qu'on ne peut montrer et qui doit devenir celui du moi
c'est à dire être assumé par lui

Chaque être humain est ce qui sans cesse lui échappe
vertigineuse présence à soi, béante, sans contenu qui plonge dans l'infini
hors de toute définition dans la continuité d'elle même
c'est elle, c'est à dire l'existence humaine comme telle que nous prenons pour Dieu
Tout au long de sa propre histoire, l'homme est resté à lui même le grand inconnu
il l'est par destination
Le grand secret c'est lui même
car ce que nous sommes échappe à toute  prise, à tout repère, à toute définition
nous sommes l'ailleurs et Dieu est toujours ailleurs