Descente dans le fond de son être...

 

La questions que nous nous posons désormais est "comment parvenir à l'expérience de l'advaïta ?", 
 le chemin est indiqué dans de très nombreux textes du Père Le Saux.

Celui qui est présenté ici est extrait de "Initiation à la Spritualité des Upanishads"
Tour à tour l'auteur inspiré par l'Esprit nous parle de la nécessité de faire "exploser les mots" d'arriver à cette "fission Mystique" qui se produit à l'approche du " fond de soi" ...et l'arrivée à cette étonnante conclusion que l'on Est cela ...et que Dieu ne sera jamais sans l'homme...
De la très haute spiritualité !
le texte est publié avec l'autorisation des éditions Présence que nous remercions encore

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 Alors que la plupart des hommes  se contentent de mesurer Dieu à l'aune de leurs formes mentales, les grands Voyants upanishadiques eux osèrent un jour se lancer dans ce chemin dont
" nul ne revient qui atteint le but."

« N'en revint qui revint, qu'à mi-chemin étant allé »

à la rencontre de l'Absolu.

 Ils étaient poussés en cela par une inexorable compulsion interne, ( l'Esprit ?)
  celle qui leur disait
neti, neti (ni ceci ni cela) et qui leur accordait ni cesse ni satisfaction,
 
ni dans ce qu'ils rencontraient au-dehors, 
ni en rien de ce qu'ils découvraient au-dedans de leur coeur,
lorsque, atteignant enfin la source de leur Je, de leur Soi, ils sentaient cette atteinte même se dérober sous eux.

 Et ainsi... 
ainsi emportés dans le souffle du gouffre de l'esseulement de l'Absolu, ils parvinrent là d'où il n'est plus de retour...

Où plutôt ils
ne parvinrent ni n'atteignirent...
 car l'Absolu, l'Être qui l'atteindrait ?
 
Sa proximité essentielle, n'est-elle pas plus inaccessible que toute distance ?

 Ce moment fut le dernier des moments...
 il fut le Présent Essentiel ... 
 le Présent de la Présence Essentielle... 
 en lequel une fois entré... il n'est plus pour quiconque d'avant ni d'après...
 lequel enfin réalisé,...l'on réalise que
l'on est, plutôt simplement que l'être Est.

Ils descendirent donc... de centres en centres au fond de leurs âmes,
 toujours plus profondément, sur le fil de leur conscience,
 à la recherche de cette Conscience en son état d'isolement et d'absolu.

 Au fond de ce Je qui en chacun est jaillissement même de sa conscience, ils espéraient découvrir le JE,
l'Aham essentiel.

 Et il se trouva tout à coup qu'il n'était plus en ce centre dernier de soi que la vibration, la résonance de l'
AHAM unique
du Je de Celui dont tout ce qu'on peut dire  c'est qu'Il est,
 ASTI, Yahwé. 

Lui dont le chiffre est plus encore
« Je suis>> ASMI, Ehieh 
 (car qui est près de lui pour prononcer qu'il est lui ?) 
 ou finalement
l'Être, SAT,
 hors de toute particularisation de temps, de mode ou de personne.

 Il n'était plus que
l'Être...., en  tout et partout. 

Sur quoi que se fixassent leurs yeux ou leur pensée au-dedans comme au-dehors, c'était l'éblouissement et l'aveuglement du soleil de midi contemplé en face... 

Leur JE, leur Soi, n'était plus discernable dans cette Lumière qui fusait de la source de leur JE, de leur Soi...
 
Rien pour s'appuyer... rien où s'accrocher...

Nul lieu où se mettre à l'abri de l'éclat inexorable et essayer de se retrouver,
 de se redécouvrir...
 de s'assurer une place...
 si petite soit-elle...
 mais une place bien à soi, dans l'existence. 

Tout n'était que Lumière- épiphanie, manifestation de cette Lumière !
 
En tout ce qu'ils voyaient,
c'était la vision de l'Être !

 Passé et futur, hommes et choses, justes et pécheurs, tous ces
dvandva, ces oppositions, ces couples qui rendent possible les perceptions des sens et les mouvements de la pensée:
 vie et mort, joie et douleur, possession et frustration...
 il n'y avait plus rien de tout cela...
 
mais seul l'éclat unique de la Présence.

Alors vinrent les philosophes  qui voulurent mettre en concepts cette expérience primordiale. 
Pour parler de la manifestation de l'être au plan du devenir,
Ils proposèrent la notion de
maya que le épigones eurent tôt fait de dégrader en une théorie de l'illusion.

Parler d'illusion, comme parler du non-être, c'est poser une alternative à l'être. !
Mais en vérité il n'est que l
'Être,
en toute Sa plénitude, 
aux formes multiples en lesquelles il apparaît à l'homme,
celui-ci déjà, apparition de l'être au soi de sa conscience psychique.
 
Jusqu'aux détails les plus minimes et les plus extérieurs de cette Manifestation, c'est
l'Être seul qui paraît et qui resplendit.

 Il n'y a pas l'Être et le non-Être,
 Il n'y a pas plus d'Être ici et moins d'Être là.
Il n'y a que l'Être en son unité adamantine,
 ainsi que l'avait contemplé le grand Parménide à l'aube de la pensée grecque avant que Platon n'orientât  le génie méditerranéen du côté du concept (eidos) 

L'Inde reçut de Dieu ce don merveilleux de sentir avec une intensité inégalée au fond des choses,
 au fond des vivants,
 au fond du coeur de l'homme
 le Mystère de l'Être,...de l'Absolu... de Dieu.

Dès lors chaque mouvement de la matière,
 chaque palpitation de la vie,
 chaque pulsation de la pensée,
 au-delà et avant toutes les différenciations perçues par les sens ou l'intelligence, c'était d'abord
le signe de l'Être en soi
 et un signe tellement parfait qu'en lui seul le signifié, l'être, était perçu. 

De l'Inde cette intuition fondamentale se répandit sur tout l'Extrême-Orient par la voie du bouddhisme surtout mahayanique, en qui il n'est pas difficile de discerner, derrière des formulations si différentes apparemment, une intuition de même ordre que celle des grands Rishis.

 La rencontre si féconde en Chine du bouddhisme avec le taoïsme acheva de pourvoir cet
 immense Orient des formulations fondamentales qui lui permettent d'exprimer et de vivre avec plus d'intensité et de vérité encore cette expérience sienne de la
Présence,
 sous le signe plus particulièrement de l'immanence, qui fut sa grâce et sa prédestination.

 La prédestination de l'Occident en regard aura été d'avoir senti cette Présence davantage sous le signe du
Tout-Autre;
 puis de recevoir pour lui et pour le monde la révélation bouleversante que ce
Tout-Autre,
l'Absolu et l'Éternel, s'étaient engagés dans le temps par une alliance avec un peuple, et faisait irruption en personne dans la durée même de l'humanité !
 
...et dans la matière dont cette durée mesure la croissance et la maturation
 Il avait rendu l'histoire elle-même réelle de la réalité de l'Être.

 Il suffirait en vérité du génie d'un homme, une fois l'heure venue, pour découvrir que l'espace et l'étendue sont inséparables du temps, 
que la durée aussi entre dans la constitution de la matière....

 Mais pour faire réaliser à l'homme que son devenir était Réel,
 qu'il n'avait pas seulement à découvrir
qu'il Est,
 mais aussi à se hâter vers la réalisation de la
plénitude de son être,
 que sa vie et son devenir sont emportés dans le cours d'une genèse maturante ordonnée à
 l'eschatologie et à la parousie définitive de l'être,
 il fallait que l'annonce lui en fût faite par Dieu lui-même, entrant dans le temps (...)

La présence de Dieu ne saurait comporter de degrés, seule en possède la présence
à Dieu; 
et cette présence à Dieu est aussi 'diverse que sont divers les êtres et les individus,
 voire qu'ils le sont aux instants divers et successifs de leur existence. (...)

Le soleil semble à l'homme se lever, apparaître, monter, disparaître....
 
Tant que le centre de gravité conscienciel de l'homme demeure le moi apparemment indivis, qui réfère tout à soi ,
toutes les opérations sensorielles et mentales d'un organisme donné,
l'approche et le retrait de soi par rapport à Dieu sont vus sous la forme d'approches ou de retraits de Dieu par rapport à soi.

Sans doute l'Évangile comme toute la Bible use de langage figuratif, et la Révélation ultime elle-même n'a pu échapper à une certaine kénose en empruntant les formes mentales ethniques et individuelles où Dieu choisit de la mettre à la portée de l'homme.
Cependant c'est dans les mots mêmes dont usa le Seigneur pour nous manifester le secret dernier de l'être du sein du Père que nous devons normalement chercher à en découvrir le Mystère...

Nous  avons à les expliquer symboliquement qu'au seul cas où leur sens propre serait contradictoire à d'autres textes parfaitement explicites de la Révélation - 
dussent les formulations et les catégories de nos langues et de nos philosophies
en exploser sous la force intime et irrésistible de l'esprit nouveau qui vient les animer.

C 'est qu'en effet le bouleversement qu'apporte dans le monde le lever aux profondeurs de l'âme de Jésus
de la conscience d'être fils du Père non seulement symboliquement et analogiquement, mais en réalité d'être,
 et au présent de l'Être qui ne peut qu'être éternel,
et le bouleversement qu'apporte dans l'âme élevée par la grâce, l'irruption mystique de la Participation à cette conscience Unique, ne trouvent d'équivalent en l'ordre physique qu'en la libération des forces élémentaires que provoque
la fission ou la fusion nucléaire !
.
Équivalence elle-même aussi lointaine que l'incommensurable distance du physique au psychique et au spirituel. 

Dans l'un et l'autre cas c'est le passage à un
tout autre plan, et au-delà des phénomènes
qui sont perçus 
rien ne peut être dit - de ce côté-ci de la barrière - des énergies ainsi dégagées, 
de leurs cheminements futurs, ni de leurs résultantes dernières. 

Ainsi, comme l'a dit Jésus, celui qui est né de l'Esprit - dont nul ne sait d'où il vient ni où il va - nul ne sait d'où l'Esprit fait venir l'homme, ni où l'Esprit l'emporte....

En la
fission mystique se révèle l'inconsistance du JE superficiel ...
et apparaît alors dans la lumière implacable la substance et le coeur même de ce
SE,
 aussi inatteignable et incompréhensible
 et indéfinissable à la pensée de l'homme et à sa conscience psychique que la matière, qui, percée en sa substance même par le mécanisme de la fission, n'apparaît plus finalement au savant que comme pointe d'énergie. !

De même que Dieu n'est qu'en soi, n'est présent qu'à  soi,
Dieu non plus ne peut venir, aller qu'en soi, de soi à au-dedans de soi. 
Car il n'est pas en réalité d'autre à Dieu.

 Dieu: est l'Un, 
l'« unique et sans second » - ekam eva advitiyam.
 
Si à Dieu quelque « autre » était, c'en serait fait de l'être lui-même,
 Et il ne pourrait même pas dire que ce serait le néant...
 car s'il n'y a que le néant, qui serait pour parler du néant ?

 Et plus encore, parler du néant,
 n'est-ce pas le postuler dans l'existence ?
 et le vider paradoxalement de sa substance même de néant ?

L'existence de créatures - de ce à quoi Dieu est autre -est
un Mystère que nulle philosophie ne put jamais percer....
 
Car ou bien l'on se contente pour expliquer le monde d'un Dieu surhomme,
 d'un Dieu qui possède de façon éminente toutes les énergies et perfections que l'homme peut déceler, ou même déduire en soi et de la nature :
 ce Dieu par le fait même est à l'image et à la mesure de l'homme...
et cette conception que l'homme se fait de Dieu, se trouve finalement
vide de Dieu.
Vide de ce qui fait précisément que Dieu est Dieu -
 et l'homme ne trouve pas Dieu.

Ou bien, à l'autre extrême... 
appelé par une intuition puissante jusqu'au centre de soi, jusqu'au centre de l'être, 
ayant perdu grippe de tout en l'engouffrement de cet abîme,
ayant perdu grippe de son Je, 
ayant perdu grippe de tout ce qu'il disait autre que son Je,
brûlé  du feu dévorant de Celui dont le nom est
JE SUIS 
 l'homme alors ne sait plus rien du monde...
 ni comment il est,
 ni s'il est, 
ni s'il n'est pas.

Ainsi en trouvant Dieu,l'homme en tant qu'homme a trépassé...

Nul ne peut voir Dieu et vivre,  proclame l'Écriture ( Exode 33,20).

Seule la "descente"  (ou plutôt l'existence )du Verbe de Dieu en chair et psychisme d'homme tranche l'insoluble dilemme...
 
En faisant pénétrer l'homme au plus profond des abîmes de l'Être et de l'amour de Dieu, elle lui découvre le Mystère des cheminements divins, 
 de la réciprocité de l'Être au sein même de la Trinité bienheureuse.

 Et au secret même de ces cheminements au-dedans, la "descente" lui fait découvrir le cheminement très réel de la créature depuis le sein du Père,
 sans que cependant elle ne le quitte jamais...
 - créature qui finalement, dans son in-identification constitutive même à l'essence divine, délivre en soi les abîmes les plus profonds de l'Être et de l'Amour, constitutifs même de Dieu.


 Theos agapè, Dieu est Amour.


Quand l'homme descend au fond de soi,
appelé par l'Esprit qui lui crie : « Viens au Père !» ,
happé par le souffle puissant qui, depuis les origines de la création pousse à la divine filiation 
à travers matière et êtres vivants,
à travers l'homme, sommet de la création,
à travers ceux des hommes dont la foi ouvre l'oeil intérieur et qui sont ainsi rendus capables « de la gloire des enfants de Dieu » (Rom. 8,21) - 
de la gloire même du Monogène 
 et de clamer, de toute la force de leur esprit renouvelé par le dedans,
l'ineffable ABBA PATER,
 le mot
unique qui, remplissant l'éternité, répond au silence du Père .... 

En ce fond de soi 
l'homme découvre le Mystère indivisible de l'homme et du Soi.

Il découvre aussi
Que Dieu n'a nul besoin ni nul motif de créer, 
les théologiens ont mille raisons de le proclamer.
 Que Dieu eût pu créer s'il l'eût voulu, ce qu'on a appelé la nature pure, 
les logiciens ont tout le droit de l'imaginer ,si de tels concepts leur paraissent nécessaires pour sauvegarder l'infinie liberté et souveraineté  de Dieu.

 Mais
que c'est justement parce qu'Il n'avait nul besoin ni nulle raison de le faire que Dieu a créé l'homme et l'a appelé à être son fils.

Dieu, sans son Fils incarné et sans le plérôme que comporte en sa notion même l'Incarnation, n'est qu'un concept de philosophe...
une approche tâtonnante du Mystère réel de Dieu et de l'être,
un point de vue dialectique, oserait-on dire, au cours de la montée vers la Vérité,
une katharsis de la pensée de l'homme essayant d'exprimer l'inexprimable.

Le Christ, et par lui tous ses frères en humanité (et par ceux-ci toutes les manifestations de la matière et de la vie qui rendirent possible l'avènement de l'homme, est, hier et aujourd'hui et dans  les siècles, heri et hodie ipse et in saecula
 
. L'éternité n'est pas une durée qui précéderait ou suivrait le temps de la création.

Tout au plus pourrait-on dire peut-être que l'éternité est coextensive à chaque instant du temps, car l'éternité est un présent sans succession. 
Et le temps, c'est la montée vers ce présent contingent, en son devenir
qui tend à l'être.

 Dieu n'a jamais été et ne sera jamais sans l'homme.!
 
Au moment même où l'homme cherche à penser la solitude de Dieu, par cette pensée même il y fait intrusion, et elle n'existe plus pour lui.
 
Et si par impossible l'homme pouvait se vider tellement de soi qu'il n'y ait plus que Dieu absolument seul, cette solitude même resplendirait éternellement de la procession du Verbe à partir du Père,
cheminement atteignant en la plénitude du temps à l'engendrement de l'homme en condition de fils de la Parole.


Le Fils vient du Père, le Fils va au Père (Jn 16,28). 



Ainsi dit Jésus en nous faisant part du secret ultime de sa conscience et de son existence personnelle.
 
C'est dans sa venue depuis le Père que le
Christ est.
 Et c'est dans sa venue depuis le Père, dans sa venue en retour au Père, que
l'homme aussi est.

 Car il n'y a qu'une sorte d'être,
 celui qui se répand depuis le sein du Père et qui se délivre en s'y perdant en son retour, éternellement.

Tant que la venue de Dieu dans l'âme est considérée à la façon des rapports possibles ou existant de fait entre deux êtres, autre chacun à l'autre, 
entre deux êtres qui existent indépendamment de leurs relations mutuelles, et pour qui cette venue, aussi merveilleuse qu'on la suppose, demeure de l'ordre du contingent,
 rien n'a encore été compris au sens réel de la parole de Jésus en saint Jean

En fait hélas, combien de chrétiens ne demeurent-ils pas dans leur idée de Dieu au stade mentionné plus haut du grand Monarque régnant quelque part là-haut dans l'empyrée ?
 et qui daigne s'intéresser, quand elles le méritent ou qu'IL le choisit, à ces chétives créatures qu'il place un jour dans l'existence aux demeures terrestres ?...
, à la façon de ces seigneurs d'antan qui distribuaient leurs serfs en leurs domaines, recevaient leurs redevances et occasionnellement se montraient en leurs hameaux.

Ce n'est pas de l'extérieur que Dieu vient à l'âme...

C'est au plus profond du centre de l'âme,
 aux retraits les plus essentiels de son être,
 là même où Dieu de par droit d'Être réside, que s'origine sa venue. 

Au regard de nos sens, de notre pensée, de notre conscience psychique, cette venue se devinera, se reconnaîtra par une certaine spiritualisation, pneumatisation de nos puissances et facultés,
une illumination nouvelle de notre intelligence,
une purification et rectification de nos appétits et sentiments
une force plus intense imprimée à notre volonté de bien,
une docilité de plus en plus parfaite à la loi de l'Esprit et à la Lumière intérieure
à la limite, à la prise en charge totale de nos activités par l'Esprit :
 « ceux qu'anime l'Esprit de Dieu » (Rom 8,14). 

En première approximation, l'on pourrait même considérer cette venue comme une imprégnation de plus en plus forte et totale de notre être par la Présence essentielle du dedans ;
 une Lumière qui soudainement s' engouffrerait telle une trombe partout où le passage serait libre
et qui même bousculerait les obstacles 

 une eau qui monterait, inexorablement purifiante et envahissante à la fois -

en termes théologiques le passage du régime des vertus à celui des dons.

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