L'expérience Mystique de
Jésus
On entend souvent dire en Orient que le christianisme est une sorte d'advaita qui ne se
reconnaît pas lui-même comme tel,
que le Christ
est ni plus ni moins un Jnani ( un sage parfait) et que l'Évangile, correctement compris, prêche un pur
Vedanta.
Et l'on ajoute que, si
le christianisme est devenu par la suite dualiste
la "faute" en revient
aux disciples de Jésus qui ont peu à peu vidé le Message de son esprit, et en ont
fait une « religion ».
le Dualisme
dont il est question içi s'oppose d'un
côté au monisme (matérialiste ou spiritualiste) et au panthéisme
et de l'autre à
l'advaita
ou non-dualité
qui refuse de dire que Dieu et la créature sont un ou
bien qu'ils sont deux,
car le mystère de l'Être transcende toute numération et tout
concept
Et finalement ce que disent les orientaux est fort vrai
l'Église s'est mise au-dessus de l'Évangile,
et le christianisme s'est transformé en un « -isme »
comme tant d'autres...
un <<- isme>> extérieur et
ritualiste.
On peut même reprocher au chrétien de n'avoir pas
encore été capable, au bout de deux mille ans, de comprendre le
véritable Message que Jésus a apporté au monde
Car il est bien évident que l'expérience suprême ne peut être qu'unique.
même
si elle apparaît différenciée à des yeux non avertis dont
la prise de conscience ne s'effectue qu'au niveau du
mental,
or nous l'avons déjà souligné les processus mentaux sont inévitablement conditionnés
par le milieu philosophique, culturel et religieux, où vit l'individu.
La plus part des auteurs spirituels d'Occident
n'ont pas à leur disposition un vocabulaire capable de rendre compte
adéquatement de l'expérience mystique qui surgit (inévitablement)
des profondeurs
de leur âme.
On les sent bien souvent mal à l'aise dans leurs efforts
pour s'exprimer
dans une terminologie compliquée et inadaptée.
Mais n'en doutons point
nombreux sont ceux qui "découvrirent" l'advaïta
mais ceux-çi payèrent fort cher de ne pas avoir suivi les sentiers battus.
Maître
Eckhart fut condamné,
Marguerite Porète brûlée,
et même saint
Jean de la Croix fut regardé avec suspicion....
De plus ils sont
nombreux ceux qui prisonniers des dogmes, n'osent pas accepter le risque
suprême,
le saut décisif au-delà du soi, qui implique la perte totale
de soi.
Aussi demeurent-ils à jamais « sur cette rive-ci du fleuve »,
,en deçà de l'expérience définitive,
incapables d'accéder au Soi, Seul, Unique et sans second.
Heureusement reste à la source de la Foi des chrétiens l'expérience
spirituelle du Seigneur lui-même.
Celle-là nul n'est à même de la récuser ou d'en minimiser l'autorité.
Bien sûr il est possible de refuser de croire en la divinité du Christ
et nombreux sont ceux qui ne peuvent accepter les termes
dans lesquels les conciles l'ont définie.
Mais la grandeur de la personnalité du Nazaréen et son autorité en tant que guru ou
chef spirituel de l'humanité ne sont jamais pleinement contestées.
L'intégrité de sa conscience est au-delà de toute suspicion.
Et Jéshouah n'enseigna jamais que ce qu'il savait par expérience directe.
Oh certes il fut lui aussi un homme marqué par son temps et les conditionnements
ethniques du milieu juif dans lequel il vécut.
Néanmoins,
la profondeur de son Expérience de Dieu et la transcendance
de cette Expérience par rapport aux influences extérieures est incontestables.
Et même si l'on peut penser que certains évangiles ( surtout le 4ème)
sont le fruit
de l'imagination, ou, du moins, d' une réinterprétation
hautement tendancieuse des faits de la vie du Nazaréen.
Il faut admettre alors que l'auteur supposé de cette fabrication avait dû faire lui-même
l'Expérience pour être
capable d'en parler ainsi.
De plus, indépendamment même du Mystère divin qui
rayonne de l'Évangile, ce dernier contient des éléments que, dans le contexte
culturel et religieux du judaïsme de l'époque, personne n'eût été
capable d'inventer....
Car pour Jésus, Dieu est vraiment « un Autre », un autre
Je, distinct de son propre Je.
Jésus dit « Tu » à Dieu.
A lui aussi Dieu
s'adresse à la seconde personne.
Avec ce Tu, cet Autre, Jésus est
en relation et communion constantes.
Mais cette relation est d'un
ordre particulièrement profond et mystérieux.
Nul terme n'est
capable de la formuler adéquatement ni d'en embrasser la richesse
totale :
"Je viens de Dieu...
Je procède de Dieu...
Je vais à Dieu..."
En même temps, Jésus agit comme Dieu, même s'il ne demande
pas qu'on l'adore à la place de son Père
mais...
C'est à lui que revient le jugement (Jn 5, 22).
Il a le pouvoir de
remettre les péchés (Mc 2, 5 sq. ; Jn 20-21).
Il a l'autorité sur la Loi (Lc 6, 5).
Il transcende le temps.
« En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu'Abraham fût, je suis » (Jn 8, 58)
Il est le maître de la mort
« On ne m'ôte pas la vie, je la donne moi-même : j'ai pouvoir de la donner et pouvoir
de la reprendre » (Jean, 10, 18).)
Tous ces attributs sont divins...
et c'est bien eux qui le mèneront à la mort
Par ailleurs au plus profond de la conscience de Jésus,
en
arrière-plan à toute son activité d'homme, à toute son oeuvre, à
tout ce qu'il a dit ou fait, existe une relation secrète et indicible avec
Dieu
Il nomme Dieu son Père en un sens
qu'aucun juif n'avait jamais donné à ce mot'
le terme de papa...abba
L'essentiel de son Message est ainsi de révéler le Père, et de proclamer son amour infini;
de faire savoir aux hommes qu'il est né du Père et est descendu
du ciel pour accomplir sa volonté et effectuer son oeuvre.
Jésus se réfère constamment à cet Autre, de qui il vient, et à
qui il va.
et quand il parle, c'est seulement pour répéter ce qu'il a
entendu du Père (Jn 8, 26; 12, 49-50);
quand il agit, c'est pour
exécuter l'ordre du Père (Jn 5, 19).
Jamais, il ne porte seul la responsabilité de ses paroles ou de ses actes.
Le Père, qui demeure en
lui, lui rend témoignage (Jn 5, 32; 8, 18), et Lui-même accomplit
les oeuvres que Jésus fait (Jn 14, 10).
le continuel
« souvenir » du Père - sa memoria - sous-tend toute la conscience
de Jésus et ce sans interruption.
Jésus ne peut penser à lui-même sans
avoir conscience du Père qui est à l'origine de cette pensée;
et
de même la conscience qu'il a de lui-même en tant qu'homme
semble le conduire irrésistiblement à la pensée et à la conscience
de la présence du Père au fond de son être,
de Celui dont il vient
et à qui il retourne.
"Saint Paul dit que dans le coeur des fidèles il est un mot que
l'Esprit murmure inlassablement : « Abba, Pater, Abba mon
Père! » (Rm 8, 15; Ga 4, 6).
Certainement, cette invocation était
celle que Jésus, en qui habitait la plénitude de l'Esprit, préférait
pour exprimer le fond de son coeur.
Elle était apte à manifester
l'aspiration originelle qui jaillissait du plus intime de son être.
C'était d'elle, en quelque sorte, que jaillissait toute sa prière au
Père,
tout son amour pour Lui et pour l'humanité,
la source qui
inspirait toutes ses pensées et toutes ses oeuvres."
C'était aussi pour Ràmana Maharshi l'étape finale de sa recherche de Dieu au fond de
son coeur,
l'ultime manifestation du Je-Tu qui distingue encore l'amoureux de
l'aimée,
d'autant plus dure à supporter que la rencontre s'avérait plus
proche et l'union plus immédiate...
On peut comparer cela à l'expérience
d'Al-Hallâj quand il proclame lui aussi :
« Entre moi et Toi, il y a un "c'est moi" qui me tourmente.
Ah!
enlève par Ton "c'est
moi" mon "c'est moi" hors d'entre nous deux! »
Mais tout cela n'appartient-il pas encore au plan du devenir au monde temporel ?
Or
vient un moment où il n'y a plus que, l'Être
absolu.
Et ce dernier n'est plus ni le Père,
ni l'Époux,
ni le Créateur.
Il n'est plus que LUI.
De qui pourrait-il être encore
le Père, le Bien-Aimé, le Créateur?
Il ne peut même plus être dit ...
il ne peut être dit qu'il y eut un moment,
un moment avant ce moment final en lequel s'accomplit
la non-dualité,
un moment en lequel il pouvait être correct d'appeler Dieu ,Père,
Mère, Bien-Aimé ou Créateur.
Dans l'expérience de l'Éternité, il n'y a ni avant, ni après.
De toujours et à jamais, il n'est que l'Être.
Cela me rappelle ce très
beau texte de Rüsbroeck lorsqu'il parle de la septième clôture:
" l'Infini est un océan serein, illimité et sans rivages, sans rides ni
vagues, qui permettraient de le mesurer ou au moins de se situer
en lui ...
« La septième clôture dépasse toutes les autres et consiste en un calme repos dans
la pure vacance par-dessus toutes nos oeuvres...
. C'est une connaissance de vue intérieure sans modes qui fait pénétrer jusqu'à la nature sans modes de Dieu...
laquelle
ne peut être connue au moyen de paroles ni d'actes, ni de signes,
ni de similitudes quelconques,
mais se révèle elle-même à la vue simple de la pensée sans images...
Nous
demeurons toujours ce que nous sommes dans notre essence créée
et nous trépassons toujours
dans notre super-essence.
Nous nous dépassons dans l'Abîme d'en-haut et
d'en-bas,
abîme sans
largeur ni longueur désormais qui nous mesure,
en une perte éternelle, un égarement sans
retour
Il n'y a plus de regards en arrière ni de retour possible "
Mais Jésus ne semble pas avoir ressenti lui l'angoisse des mystiques,
chrétiens ou autres, devant l'infini de Dieu.
Jamais il ne lui sembla
que le « Tu » qu'il disait le séparât en quoi que ce soit
de Dieu.
Pour lui Être de Dieu et être Un avec Dieu, cela ne faisait
qu'UN
de la façon la plus naturelle et la plus essentielle qui soit
Ce n'était pas des moments successifs d'une
expérience que mesurait le temps,
ni des niveaux distincts auxquels
se manifesterait différemment une expérience Unique.
Il s'agissait bien plutôt de non-dualité au sens propre du terme,
non-dualité entre son expérience d'unité et celle de son altérité avec Dieu son
Père.
Ainsi tout ce que le
Maharshi et tant d'autres avant lui ressentirent et transmirent de
l'expérience radicale de non-dualité, Jésus aussi l'éprouva.
Il en
fit l'Expérience ...
Il y a dans l'homme un niveau de conscience
plus profond que celui qu'atteint la pensée réflexive,
plus fondamental que cet Éveil à soi lié aux perceptions sensorielles et à
l'activité mentale.
c'est ce que nous montre l'expérience advaïtaire
L'expérience du Christ nous oblige à admettre
en l'homme quelque chose
de plus profond encore.
Quand Jésus mourut, tout semblait avoir disparu,
la conscience même de demeurer soi-même,comme c'est le cas au moment de chaque mort.
La mort qu'implique l'expérience de l'advaita est une étape fondamentale de la croissance intérieure de l'homme.
Du point de vue chrétien, elle semble être le point culminant de l'action de
l'Esprit
qui prépare l'individu à la gloire qui devra finalement être
manifestée en lui.
L'Être est le Mystère, qui dépasse toute analyse rationnelle,
le Père engendre
le Fils et le Fils naît du Père dans l'unité indivisible de l'Esprit.
L'expérience de la Résurrection manifeste dans le temps l'éveil du Verbe au sein du Père en l'aurore
de l'éternité -
un Éveil qui est unique
Et c'est à cet unique éveil que se réfère saint
Jean dans les premiers versets de son Évangile,
« Au commencement était le Verbe
et le Verbe était avec Dieu
et le Verbe était Dieu. »
Si le Verbe est Dieu, on ne peut pas dire deux
, il n'y a place pour aucune
division, ou dualité (dvaita) d'aucune sorte.
Mais si le Verbe est
avec Dieu, alors
Dieu n'est pas non plus une pure
monade.
... Communion et unité indivise
qui ne peut être
que donnée, reçue et sans cesse rendue, en un échange éternel dans
la non-dualité de l'Esprit au coeur même de l'Être.
« Lorsque, dans leur marche, ils s'avancent sans retour, c'est qu'ils pénètrent dans
la nudité de l'Un, au-dessus de l'intelligence, où nous font défaut tout secours de lumière,
où le désir ne trouve que la ténèbre : un noble je ne sais quoi, ni ceci ni cela, qui nous
conduit, nous introduit, et nous absorbe en notre origine. Que ce qui va et vient me laisse
dans le seul principe trouver ma joie! » (Hadewijch dAnvers,)
Quand on atteint la sphère de l'Être, il n'y a plus ni Dieu ni soi, mais
uniquement l'éclat aveuglant de
Celui-qui-est.
Tant que l'homme n'est pas encore passé par l'Expérience purifiante de la non-dualité de l'être, est-il réellement capable de dire
« Tu » à Dieu ?
Son « Tu » à Dieu n'est-il pas encore trop sur
le modèle du « tu » que les hommes se disent entre eux pour être
pleinement un « Tu » de vérité?
L'altérité qui fonde le « tu »
qu'échangent les hommes est bien différente de celle des échanges
entre l'homme et Dieu.
Si toute altérité, en effet, comporte à la
fois proximité et distance, celles-ci ne peuvent certainement pas
être mesurées sur la même échelle quand il s'agit de l'homme et
de son Principe, ou simplement des hommes entre eux
Les hommes sont proches les uns des autres parce qu'ils partagent
une même nature de chair et d'esprit.
En leur forme corporelle
du moins, ils peuvent être additionnés, ordonnés dans une série
sans perdre pour autant leur individualité.
Mais en même temps
ils sont distants... infiniment distants les uns des autres, car chacun
d'eux est fondamentalement une personne unique.
La position de l'homme en face de Dieu est, quant à elle, tout
autre.
Nul ne peut dire qu'il y ait quelque autre par rapport
à Dieu.
S'il y avait même la simple possibilité de quelque autre
par rapport à l'Être, l'Être ne serait plus l'Être.
L'Être en
vérité, est « un et sans second »
Si un homme pouvait être « autre » à Dieu dans
le même sens qu'il l'est des autres hommes,
alors Dieu ne serai
plus Dieu.
Et l'homme non plus ne serait plus homme, son
altérité d'avec Dieu le jetterait dans la non-existence.
L'être de
l'homme s'enracine au plus profond de l'Être de Dieu.
C'est vraiment LE Mystère
celui de l'amour, de la la grâce et de la parfaite liberté divine
et cela défie tout entendement.
Dieu
n'a pas besoin de l'homme pour être.
Dieu est,
et son existence
est indépendante de toute créature imaginable.
Entre Dieu et l'homme, il y a comme une proximité et une distance qui s'appellent
et se fondent mutuellement.
Distance en la Présence même,
transcendance dans l'immanence.
Distance et proximité qui ne sont que deux modes complémentaires de la même
Réalité.
Tant que l'homme n'a pas fait l'expérience dévorante de la proximité et de la distance à la fois de l'Être, est-ce vraiment Dieu
qu'il contemple dans sa méditation ?
Est-ce à Dieu vraiment qu'il
adresse le « Tu » de sa prière?
Ne risque-t-il pas de s'arrêter à
ce simple reflet de la Réalité qu'il devine au miroir de son âme
ou qu'il conçoit dans sa pensée?
C'est dans la mesure même où l'homme pénètre au fond
de lui-même qu'il trouve Dieu;
et c'est dans la mesure où il pénètre
en Dieu qu'il se trouve lui-même.
Pour trouver Dieu en réalité,
il lui faut descendre jusqu'en cette profondeur de soi où il n'est
plus qu'image de Dieu;
là même, où, au jaillissement de son être,
il ne se trouve plus que Dieu.
En deçà, ce n'est jamais que Dieu
reflété en sa pensée ou en sa conscience qu'il atteint.
L'homme est un
« microcosme »,
et seule l'ouverture en l'homme de ce fond de
l'être rend possible la transformation et la spiritualisation du cosmos
jusqu'en ses profondeurs.
Pour Jésus c'était tout d'abord en son coeur d'homme
que devait se déchirer le voile qui cache à l'homme sa propre
profondeur.
C'est cela même qui est puissamment symbolisé par l'Ascension
du Christ à laquelle se réfère la Bible.
Dans ce cheminement vers le Soi, le jnâni doit tout
abandonner,
laisser loin derrière lui le monde de la nature et des sens
, puis dépasser le niveau des facultés supérieures, le plan de
l'intellect,
enfin ne pas non plus se laisser retenir par le ciel des
devas (dieux)
mais s'élancer jusqu'au centre le plus profond
jusqu'au lieu le plus secret : la demeure propre du Brahman.
C'est
alors seulement que, déchirant le dernier voile, il se retrouve au coeur même de ce Brahman
et retrouve son
Soi, son àtman
- aussi inconcevable que cela paraisse - non
plus sombré dans cette gloire mais recouvré, et brillant d'un éclat
éternel et unique.
L'esseulement de l'àtman
brahman peut dès lors s'ouvrir en communion, en sorte que l'aham solitaire s'ouvre au Tu
(tvam) de l'amour mutuel - encore qu'indivis
Au monde de la manifestation extérieure, le « tu » que se disent
les hommes entre eux et le « Tu » avec lequel ils s'adressent à Dieu
restent trop souvent de simples signes,
des reflets superficiels et
décevants
, tant que leur sens vrai n'a pas été éprouvé au fond de
l'âme.
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