Qui est Jésus ?

 

Question essentielle , trop souvent occultée et à laquelle les chrétiens eux même ont parfois, bien du mal à répondre...et à se faire comprendre de ceux qui appartiennent à une civilisation autre ...

+


Question fondamentale...
 la question même que les Juifs lui posent à Lui  en saint Jean, 
et qu'Il pose à ses disciples dans les Synoptiques.

Trop souvent la réponse à cette question a été faite sur le plan notionnel;
 pourtant...
pourtant nous ne pouvons pas nous contenter de notions, de formules reçues de la Tradition,
 car toutes sont inévitablement
conditionnées par le milieu mental et social dans lesquels elles ont été formées, 
et de ce fait même sont des surimpositions  à la Réalité qu'est Jésus.

Dans une telle perspective Jésus est un personnage du passé avec qui je dois d'une manière ou d'une autre être relié afin d'accomplir ma destinée,
 de parvenir au Salut.
 Or je ne pourrai jamais atteindre le salut par des notions.
 
Si Jésus est mon Sauveur,
 c'est seulement dans l'expérience vivante de LUI que je suis sauvé.

 Aussi longtemps que Jésus demeure pour moi un phénomène appartenant au passé, il n'a pas d'intérêt pour moi. 
Jésus ne compte réellement pour moi... que lorsqu'IL est vivant comme je suis vivant dans
mon propre présent,
 c'est-à-dire un présent qui transcende toutes catégories de passé et d'avenir.
 
C'est uniquement dans le présent où je suis que je peux réellement rencontrer Jésus .

 Toutes les notions concernant Jésus sont sujettes à développements et modifications.
Au niveau des Synoptiques par exemple nous trouvons, en référence à la vie terrestre de Jésus de Nazareth et à sa manière propre de parler de lui-même, les notions bibliques de Messie, Fils de l'Homme, Serviteur de Yahvé. 
Il y a aussi la notion de Fils de Dieu...
 
Nous voyons les trois premières notions perdre beaucoup de leur intérêt dès que l'Évangile commence d'être prêché dans le milieu grec. 
Le titre biblique de Messie perdit pratiquement toute sa signification propre quand il fut traduit en grec et qu'il devint pour ainsi dire l'équivalent d'un nom propre.
 
Ce furent d'autres termes bibliques qui attirèrent l'intelligence grecque 
et qui devinrent la base de la spéculation théologique ultérieure...
 tels par exemple les termes de Logos, Kyrios, Sôtêr qui étaient spécialement significatifs pour les Grecs dans le domaine de la philosophie, de la sociologie et de la religion.

A notre époque également,...
 lorsque la prédication de l'Évangile atteint d'autres aires culturelles et philosophiques, il est absolument normal que la réflexion christologique se serve de notions particulièrement expressives dans ce nouveau milieu. 

En Inde par exemple, le Mystère du Christ devrait être approché surtout à l'aide des deux voies suivantes
- Celle du Purusha qui correspond à la notion biblique de Fils de l'Homme, l'Homme sacrificiel et l'Homme cosmique, et la développe ultérieurement.

- Celle du guru qui donne son sens plénier au mot hébreu Rabbi,

Mais ceci étant , nous en sommes toujours au niveau d'une théologie notionnelle; 
nous avons simplement remplacé des notions sémitiques ou grecques par des notions indiennes, nous sommes restés au niveau intellectuel,
 loin de l'expérience de la Réalité...

Les notions de Purusha et de guru ne peuvent être utiles pour le développement d'une théologie indienne que si elles sont l'expression d'une expérience intérieure. 
Nul ne peut savoir ce qu'est un guru, ni avoir une compréhension du Mystère de Jésus et de son intimité avec Lui qui soit une aide spirituelle,
que s'il a fait lui-même l'expérience de la relation guru-disciple. 

Il en est de même pour l'expérience du Purusha  ( l'homme parfait, l'homme archétypal, l'homme intérieur et cosmique) qui est à la base de bien des enseignements des Upanishads.

 C'est seulement lorsque le Mystère du Purusha a été découvert et réalisé en lui-même au-delà de toutes ses manifestations dans le microcosme et dans le macrocosme, 
c'est-à-dire dans l'homme
concret et dans l'univers concret, que cette notion peut révéler au croyant le Mystère de Jésus.

Arrêtons-nous un instant sur l'incapacité de toutes les notion à atteindre le véritable Mystère de Jésus. 
Il est communément admis que le critère de la foi chrétienne est l'acceptation de la divinité de Jésus. 
Mais nous rendons-nous compte combien une telle affirmation : le Christ est Dieu, est marquée par le milieu et le conditionnement mental de l'homme qui le prononce ?

 Pour prononcer correctement un tel jugement : le Christ est Dieu, nous devrions en premier lieu avoir une parfaite connaissance de chacun des termes de la proposition. 
Qui est le Christ ? 
Qui est Dieu ?

Or le plus souvent nous relions simplement les notions que nous avons du Christ et de Dieu.

 Seul serait capable d'émettre un jugement correct celui qui verrait comme d'en haut - et à partir du même point de vue - le Christ et Dieu. 

En réalité, seul celui qui est à la fois Christ et Dieu peut émettre cette formule sur lui-même.
 
N'est-ce pas dans notre foi en cette expérience même de Jésus que nous prononçons à notre "tour le jugement que le Christ est Dieu ? 
Il ne faut pas oublier ici tout le conditionnement à travers lequel notre foi atteint le  Christ et Dieu, dès qu'elle s'exprime en termes particuliers. 

Aucun homme ne peut dire : Christ est Dieu, ou selon la plus ancienne profession de foi : Jésus est le Fils de Dieu ou Kyrios Christos, s'il n'a pas à la fois l'expérience personnelle du Christ et celle de 'Dieu. (...)
Il ne peut le savoir que dans l'Esprit.(...)

Néanmoins l'expression la plus fondamentale que Jésus lui même donne de sa propre expérience de Dieu et de lui-même n'est pas qu'il est Dieu, mais qu'il est le Fils de Dieu. 

Les études récentes du Professeur Jeremias ont attiré l'attention sur le sens du mot araméen Abba employé par Jésus, qui ne peut être employé symboliquement à la manière du mot hébreu Abh, mais qui réfère strictement à l'homme dont on est issu.
 La relation de Jésus à Dieu est la relation d'un homme au père qui l'a engendré.

Mais que signifie pour un homme d'avoir été engendré par un autre ?
 
L'archétype de 'père' sur lequel la psychologie moderne insiste tant signifie-t-il la 'conscience' que l'homme a de venir de quelqu'un d'autre ? 
Ou plutôt correspond-il à ce halo de supériorité sécurisante et de pouvoir auquel l'homme aspire dès le moment où, impuissant, il se trouve rejeté du sein de sa mère ?
En réalité qui est conscient de venir d'un autre ?.


Quoiqu'il en soit Jésus apparut dans le monde non pour enseigner des notions mais pour faire part aux hommes d'une Expérience,
 la sienne propre,
 celle d'être Fils de Dieu...

Et  dans le Sillage et la Force de cette expérience sienne, 
de les mener jusqu'à la réalisation, l'intégration à leur conscience totale de leur Mystérieuse condition à eux aussi de Fils de Dieu 
condition à laquelle ils sont appelés par le Père d'un appel éternel,
 d'un appel qui ne peut se différencier finalement de l'Être même de Dieu.

C'est sous le Mystère du Père que Jésus, fit au fond de son être, l'expérience de son Mystère le plus intérieur.

 Cette expérience de Jésus,
 comme toute expérience au niveau de la source, est à la fois antérieure à toute expression...
et au-delà.
 
Le nom de Père lui-même est un symbole au sens  de la psychologie des profondeurs.
 
Le Père en Soi est ineffable;
IL n'a pas de nom,
IL est au-delà de tout nom

Après Jésus, les grands mystiques chrétiens eurent en l'Esprit le sens de son
Abîme.

C'est dans la Lumière de ce Mystère du Père et du Fils que plongé en l'Esprit, le chrétien réalise et intègre à sa conscience le Mystère de son propre abîme...
 et le réalisant, s'engouffre dans l' abîme  même de Dieu,
l'abîme de l'Être,
l'abîme du Soi.

 Rites, structures et formules reçoivent leur valeur de cette seule expérience des profondeurs de l'Être. 
Cette valeur est toute de symbole, de signe, de sacrement en tension vers sa signification

Dès que cette tension se relâche...
 et que le signe tend à retenir à soi l'attention du croyant,
 il risque de perdre sa diaphanéité et de devenir écran,
 ...menant alors droit à
l'idolâtrie,  
qui est le culte de l'image pour l'image elle-même,...
de l'eidos pour l'eidos lui-même.

L'expérience chrétienne est
l'épiphanie de l'expérience du Soi

Elle prend tout l'être du fidèle 
- c'est pour cela qu'elle est conversion - 
justement parce qu'elle jaillit au plus profond, à la Source même de l'Être,
 là même où Jésus entendit la Parole éternelle :
« Tu es mon Fils ».

 C'est le corps tout entier
 et l'âme tout entière qui sont emportés dans cette expérience originelle, comme l'ont si bien vu les mystiques russes.
 
La personne humaine, le Soi de chaque être conscient est communion et participation au JE essentiel de Dieu,
 ego sum qui sum. 

Elle est immanente et transcendante à la fois a toutes ses manifestations, aux niveaux périphériques des facultés, du noûs, de la psyché, du sôma.
 

Pour s'aider à comprendre, on peut penser au pneuma paulinien, si proche en son fond de l'àtman upanishadique.
 La personne déborde aussi bien tout effort de l'enfermer dans une orthodoxie ou orthopraxis quelconque.

La foi, c'est cette
capacité d'au-delà qui est au fond du coeur même de l'homme. 
C'est cet élan spontané de la nature humaine vers l'Absolu
 cette référence au Mystère qui englobe tout et déborde toutes manifestations.
 
Elle dépasse sans doute toutes les formulations qui peuvent en être 'données,
 mais en même temps c'est d'elle que toutes reçoivent leur valeur et leur valeur unique.

Cette expérience de
Soi et du Père, qu'avec Jésus le chrétien fait en l'Esprit, se manifeste nécessairement, au niveau mental, par des formules symboliques, liées aux archétypes religieux profonds ;
 et, au niveau de la praxis, par des rites, des règles éthiques et des structures de communication avec autrui.

Cependant, antérieur et au-delà même de ces expressions dans l'ordre théorique et pratique de l'expérience de foi, il y a dans cette expérience du chrétien quelque chose de beaucoup plus essentiel et originel, indépendant de tout archétype,
 ou du moins
jaillissant d'archétypes plus fondamentaux encore que les archétypes d'ordre religieux ou humanistes que l'homme devine à l'aube sa conscience.
 
Il s'agit de l'Élan d'amour qui est la base ou mieux le centre radiant de l'expérience des disciples de Jésus. 
Jésus n'a-t-il pas donné lui-même, comme le signe le plus vrai de la foi en Lui ,non le rite ou la formule, mais l'Amour d'autrui?
 inséparable de l'Amour du Père -
 capable d'aller jusqu'au sacrifice même de soi « jusqu'à la mort de la croix » ?

Cette expérience d'Amour et de don est vécue avec une intensité suprême dans le rite par excellence de la foi chrétienne,
l'eucharistie. 

C'est dans l'acte de
se donner en effet que le retour du Seigneur, sa Présence, s'actualise sacramentalement dans l'assemblée des fidèles, l'ekklêsia :
 il rompit le pain, le donna... voici mon corps livré pour vous;
 il donna la coupe... voici mon sang répandu pour vous...

L'eucharistie n'obtient  sa pleine vérité que dans le
don mutuel l'un à l'autre des membres de la communauté, 
usque ad mortem crucis, 
et dans leur don tous ensemble à chacun de leurs frères hommes pour le salut de tous, dans le temps et dans l'éternité.

Expérience d'amour, l'expérience chrétienne est expérience de Vie.
 
Tel est le sens profond du Mystère de la résurrection. 

Dans sa foi à la "résurrection" de Jésus, le chrétien découvre qu'il est au Mystère même de la gloire, de l'Être de Dieu, le seul « qui est>>

 Il reconnaît que, dans l'appel de Dieu, il participe à l'éternité  de Dieu,
 car être se situe
hors du temps...
 et est même incapable de se situer quelque part que ce soit.
 
Il reconnaît que nul mal,
 même ce mal ultime qu'est la mort,
 ne peut avoir de prise sur lui à moins toutefois que, dans cette liberté qui est sienne de l'appel même que Dieu lui fait, il ne se refuse à Dieu et à soi, choisissant de demeurer à jamais (à nouveau nécessairement hors du temps) dans cet état, absolument indiscernable pour la pensée
d'être non-réalisé, de soi non-atteint...
 

Il reconnaît au centre de cette Réalité qu'il est et qui déborde ses diverses manifestations tout en en étant la source et la vie. ..

C'est à leur niveau seulement que mort et mal peuvent atteindre, l'atteignant alors lui-même dans la mesure précisément où il s'identifie à ces manifestations dans le temps.

Cette expérience de vie est une expérience de résurrection et de rédemption.
Elle touche l'homme dans sa conscience actuelle d'être faible et pécheur. 
Elle l'emporte dans le courant de l'Amour infini jusqu'au sacrifice total, à la fois de Jésus et de soi,
 là où dans sa communion mystique à la mort du Seigneur, il accède à sa condition d'enfant de Dieu.
 
Une telle expérience est tout à l'opposé de ces gnoses d'Occident comme d'Orient qui promettent le salut, non à une conversion,
un retournement total de l'être, comme le proclame l'Évangile, mais à une simple connaissance ou expérience d'ordre intellectuel.
 
La connaissance pure est incapable de mener l'homme jusqu'au but inscrit dans sa nature et dans son appel par Dieu, justement parce qu'elle le retient au niveau mental, au-delà duquel seulement se trouve le Soi et se découvre dans toute sa gloire le Mystère de Dieu lui-même.

Jésus est le Fils,
 Jésus est le Verbe
, Jésus est la Parole qui manifeste aux hommes le Soi.

Dès l'instant primordial de son existence d'homme,
Jésus a pénétré aux profondeurs du Soi.
 
Il fut tellement passé en Dieu dès qu'il exista que jamais en lui il n'y eut place pour , pour une « subsistance », disait d'autre façon la Scolastique. 
Son corps et son âme ,son instrument du dehors et son instrument du dedans sont purs organes
de manifestation du Soi, 
« corps de manifestation », dirait une théologie màhâyaniste. 
Il n'est que manifestation... 'épiphanie' de Dieu,...son "Fils" par excellence, son Verbe, sa Parole.

N'est-ce pas le sens profond des plus grandes formules johanniques ?
 Ego a Patre exivi, « Je viens du Père »
 
 Le Père n'est-il pas essentiellement le « Dedans », le « Soi », où tout s'origine,...?
 le jaillissement primordial du « Soi » de la Déité...?
 de la Déité en Soi ?
 
La sortie de Jésus a Patre est une venue au plan de la manifestation, à partir du plus intime du Soi.

 Ego a Patre exivi, 
cela veut dire que Jésus sort de quelque manière du Soi, de Soi.
(...)

Un musulman hindouisant demandait un jour à un chrétien
« Avez-vous eu l'expérience du Christ ? »...

 Une telle question n'a pas de sens. 
L'expérience réelle du Christ est inséparable de l'expérience du fond du Christ, qui est le Père.

Cela rappelle l'Introït de Noël ...
 Jésus s'éveillant à l'existence ...
...l'Éveil de sa conscience humaine à ce qu'Il Est,
l'Éveil de sa conscience au Soi :
 le Seigneur m'a dit : « Tu es mon Fils !>>

Puis Jésus accomplit l'oeuvre... et retourne au Père ...
 ad te venio.
 « Je suis sorti du Père et suis venu en ce monde;
 maintenant je quitte le monde et je vais à nouveau au Père » (Jn. 16,28).

Au matin de Pâques...  Resurrexi 
« je suis ressuscité et suis encore avec Toi » !
... je ne t'ai pas quitté !...
.
Jésus est l'essentiel Révélateur du Père: « Personne ne vient (venit, non vadit) au Père sinon par moi » (Jn. 14,6). 
Mais aussi personne ne vient à moi qu'attiré par le Père (cf. Jn. 6,44), qu'attiré au-dedans ...
 attiré à moi...
 et par moi à Soi...
 au-dedans de Moi.

La manifestation du Soi-Père en Jésus Parole-faite-chair constitue l'oeuvre ordonnée par le Père et contenue aux Saints Évangiles.
Le Soi ne parle-t-il pas à Soi dans le Silence du fond ?

Mais lorsque le Soi est engagé aux chemins du samsara ( le monde en évolution) et voilé sous maya( l'illusion du monde) , le Soi doit parler au Soi du dedans et du dehors, à la fois....

 Et c'est là tout le Mystère de Jésus,
révélateur de l'Amour du Père, révélateur du Soi. 
(...)

Dans son plongement originel, radical, essentiel, au sein de soi, au sein du Soi, Jésus a réalisé son existence éternelle a Patre,
 son état de Fils,
 sa personnalité de Verbe de Dieu....
 
Qui comme lui a plongé au sein du Père ? 
Qui comme lui a réalisé les profondeurs divines de la créature ? 
Qui donc comme lui saurait enseigner la voie ?
<<Je suis la Voie>>
...et plus que la voie...
 l'aboutissement de celle-ci: la Vérité et la Vie ( Jn 14,6)

Qui lui serait égal comme Guru, comme 'Maître de Réalisation'?
, enseignant à la fois du dedans et du dehors ?

Et puis l'heure vint ( hora ejus) où il passerait de ce monde au Père...
L'oeuvre achevée il peut retourner à l'origine...Mystère essentiel du Vendredi Saint
retirement de Jésus dans le Soi
Jésus surgi de Soi,
 envoyé par le Soi,
 rentrant au Soi

Mais la méditation de la rentrée en le Soi ne peut faire abstraction de l'agonie du corps...
du coeur 
et de l'âme... !!!

Pourquoi les hommes haïssent-ils ainsi le Soi ? 
Pourquoi ne veulent-ils connaître ni le Père, ni celui qu'il a envoyé ?
Pourquoi ne veulent-ils connaître ni le Soi, ni le resplendissement du Soi qu'est Jésus? 
« effigie de Sa substance, resplendissement de Sa gloire » (Heb. 1,3).

 <<La lumière jaillit au sein de la ténèbre et la ténèbre rejeta la lumière (cf. Jn. 1,5).

 Pourquoi cette crainte ? 
Pourquoi cette haine pour le « Dedans » ?... 
Pourquoi cet effroi du « fond » ?
 
Il fait si bon s'étourdir à la superficie des choses...
et c'est le lot de « ceux de ce monde ».

L'oeuvre fut consommée (...)
 Que sera Pâques ? 
Le Mystère de la permanence du Christ au-delà de la délivrance du corps !
 « Je suis ressuscité et suis encore avec toi », Resurrexi et adhuc tecum sum.

 Christ se réveille, (resurgens) dans le « fond »,

IL se retrouve lui-même, totalement, absolument comme ego, Je.
Il y a encore en cet éveil  un mystérieux Toi et Moi
désormais, cependant essentiellement inséparables, dans l'Unité de l'Esprit.

Le Resurrexi a été chanté par le Seigneur à son entrée même dans la délivrance, au grand Vendredi. 
L'Inde aurait choisi d'instinct la tradition johannique, celle d'Ephèse, plutôt que celle de Rome, , si elle avait eu à choisir pour la Pâques . 
Le Vendredi Saint peut se passer dans le deuil, mais à l'heure de None, le deuil est clos....

Même lorsque nous quitte un être cher, n'y a-t-il pas comme un soulagement profond au moment où, l'agonie achevée, l'âme entre en la paix de Dieu ?

Pâques sera une simple manifestation, une révélation... 
l'annonce faite aux hommes, du Christ « réveillé » au sein du Père, au sein du « Fond»,
 mais toujours avec le Père... et toujours avec nous... 

Les Anges de Noël avaient annoncé sa venue et donné un signe...
un enfant couché dans une crèche. 
Les Anges de Pâques annoncent le Réveil...
 ...et la Présence continuée...
ils donnent comme signe : le tombeau vide :
 « Venez et voyez », Venite et videte (Mat. 28,6).
 
Et lui-même il fut vu, dans ce corps à la fois si réel et si loin de ce que nous appelons réel comme le corps eucharistique lui-même...

La Résurrection et l'eucharistie ne sont-elles pas d'ailleurs comme ontologiquement liées ? Le corps du Christ - mortel, glorieux, eucharistique -en est le signe ...et le moyen, 
le sacrement de son union, de son lien avec nous ...
 union qui n'a qu'une raison :
notre propre accès ad Patrem,... 
notre propre pénétration au sein du « Fond ».


Le silence du tombeau...
 la nouvelle effarante du matin qui suivit le sabbat, sont le Mystère du « Réveil »
 vu de la Terre...
 entendu et compris par ceux  qui sont encore enveloppés par les nuages...
 par le 'rêve' de maya
par l'illusion 

 Le vrai croyant 
- celui qui a pénétré - est lui entré dans le « fond » avec Jésus... à None du grand Vendredi. 
Et il y demeure....
 
Depuis le jeudi soir, il est déjà haletant...
suspendu à cette heure suprême de délivrance...
 Mais en attendant, la Passion est réelle... 
effroyablement réelle...
 et pour le pauvre corps et pour le pauvre coeur ....

 Il est des temps où l'âme se sentira portée à revivre heure après heure les agonies de Jésus,
 à en chanter le triomphe,
 à en savourer la dilection qui est au « fond » de la Passion
 in finem dilexit eos « il les aima jusqu'à la fin »,  (Jn. 13,1) ;
 
« que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux, et moi en eux » (Jn. 17,26).

... Et il est des temps où l'âme ne saurait que pénétrer ce centre que nous découvre l'Évangile dans le Jesus tacebat, ...« Jésus demeurait silencieux »,
pour... avec le Maître s'enfoncer, en Lui,...
de profondeurs en profondeurs....
jusqu'au moment du Retirement Suprême en Soi... 

Les temps peuvent se diversifier, les grâces peuvent être autres
mais tout est Vérité...

Le Samedi-Saint est jour par excellence d'advaita.(  de non dualité) 
Jour totalement aliturgique...
Pas de mystère du Temps commémoré. 
Un entre-deux temps... 
entre le temps qui s'est clos à None du Vendredi et le temps qui s'ouvrira à l'aube du Dimanche....
Jour où plus de place n'est à la chair.
Le Sauveur, in situ Patris, abscondit... caché au sein du Père,
... en silence. 
Le sabbat...
repos de Dieu... repos du Christ.
 Christ rentré dans le « fond »
Christ qui a abandonné son « lien » avec les hommes...
Christ qui a abandonné sa chair....
Et l'homme ne sait plus qu'« IL EST »...
 
Pour les Apôtres, les femmes, les Juifs, Jésus n'est désormais plus qu'un mort... 
Samedi... 
jour de Notre Dame... 
jour de la Foi, qui seule pénètre au « fond ». 
Jour aimé... du moins jour de silence par excellence. 
Jour de « fond »... 
Même l'Eucharistie n'est plus possible au Samedi Saint...
ce lien ultime entre le temps et l'éternel...
 entre anitya et nitya.
Aujourd'hui tout est nitya. tout est éternel...tout est permanent...

Au matin de Pâques, Jésus sortira à nouveau de ce sein maternel... 
de cette garbha de cette caverne... le sein du Père... le « fond ». 

Comme au jour de Noël Jésus est enfermé au Samedi-Saint en la foi de Marie,
tout comme il l'avait été au cours de l'Avent...
La foi de Marie...
 elle, 
elle n'aurait pu sombrer...

Pour Marie, l'Évangile ne relate nul message pascal...
Pas plus qu'à Noël, elle n'a rien à recevoir, rien à apprendre...
elle n'a qu'à donner,
 qu'à révéler, 
qu'à « mettre au monde...
Et comme à Noël, en donnant son Fils au « monde », elle pénètre sans cesse plus avant elle-même au Mystère de son Fils... 
au Mystère du « fond »...

Mais le Temps Pascal 
le temps de la jouissance humaine par les hommes
le temps du Ressuscité
ne pouvait durer... du moins comme « temps ». 
Pâques... n'est-ce pas essentiellement de l'éternité ? 
 Pâques c'est le retour au Père, le passage de ce monde au Père (cf. Jn. 13,1), 
, id est transitus Domini (Exo 12,11) : « le passage du Seigneur » -
le passage au « fond »,
le passage à l'intemporel... à l'éternel. 

Pâques n'est pas seulement le dimanche qui suit la pleine lune d'équinoxe, sa commémoration annuelle... son anniversaire,
ni non plus chaque dimanche sa commémoration hebdomadaire,
ni non plus chaque matin sa commémoration à Laudes...
 ...quand à l'horizon du coeur aussi - au réveil de la conscience - le Soleil de Justice se lève, oriens ex alto. haut vers l'orient...
C'est chaque jour "Pâques," !... 
c'est chaque heure !
c'est chaque instant "Pâques" !
pour qui a pénétré au-dedans... 

car Pâques est justement la fixation du temps en l'éternité ...
et qui vit en Soi vit en l'éternel.... 

Pour lui le Christ ne naît plus, le Christ ne meurt plus, le Christ ne ressuscite plus !
 Car cela s'est passé dans un temps... 
Mais ce temps-là , il n'est plus...
et il n'est plus non plus un nouveau temps où nous serions...
et qui aurait succédé à ce temps-là ...

Une fois passé au nitya à ce qui est éternel , où est la succession ?
Où est le cycle ?
Qu'est-ce désormais qu'une série d'événements? 
Qu'est-ce la commémoraison de l'un des chaînons d'une telle série temporelle?

Le temps pascal devait s'achever, comme temps.
Il dure ce que dura le jeûne du Seigneur, 
ce que dura la marche d'Elie à travers le désert (II Reg. 19,8),
ce que dura le séjour de Moïse sur le Sinaï (Ex. 24,18). 
Il dura le temps nécessaire à convaincre ,les hommes que le Christ était vraiment ressuscité... était passé au Père...
 ...était vivant,
...essentiellement vivant... 

Mais cela ne pouvait continuer....
 Jésus l'avait dit avant sa Passion :<< Il faut que je m'en aille, pour recevoir l'Esprit>> (cf. Jn. 16,7) ;
 il faut que vous ne me voyiez
plus pour me voir vraiment! 
Et au cours ,de ses manifestations de Ressuscité, il ne cessa de leur reprocher l'incrédulité de leur coeur... leur lenteur à croire...
 alors que tout était indiqué en la Loi et les Prophètes. 

La présence visible de Jésus devenait un obstacle à sa Présence véritable;  
la cohabitation du dehors masquant la cohabitation du dedans. 

Qui s'arrête à l'image...
 que ses sens ou même  son intelligence lui donnent de son guru n'a rien compris encore...
 ni à la personne... 
ni à l'enseignement son guru. 

Le rasasvada ...cette déléctation de l'esprit,
 cette joie que l'on prend aux plus hautes faveurs de Dieu,
 en lieu et place de son propre acte de se perdre en Lui
,n'est-ce pas l'obstacle final au gaudium plenum  à la Joie suprême,(  Jn. 15,11... )
à la Grâce suprême... 
à la perte suprême,
 celle dont on ne revient pas ?

C'est en « soi » que les Apôtres avaient à pénétrer pour rejoindre leur Maître véritablement,...vitalement...
pour Le connaître... pour Le 'réaliser'...
pour se réaliser eux-mêmes... Soi-même.
 
Ils le connaîtraient lorsqu'ils vivraient comme et là où Il vivait ...
...en Soi...

En ce jour-là vous me connaîtrez, quia ego vivo et vos vivetis « parce que je suis vivant, et que vous aussi alors vous serez vivants »,  (Jn. 14,19). 
Car en ce temps, ils auront réalisé que Jésus est en le Père 
et eux en Jésus
 et Jésus en eux (Jn. 14,20).


Et alors ce fut l'Ascension....

Psallite Domino qui ascendit super coelos coelorun Orientem » (Communion de l'Ascension) : 
« Acclamez le Seigneur qui monte au-dessus des cieux, à l'Orient. » 

Il s'élève au dessus de tous les cieux... il les dépasse tous...
 tous les cieux supérieurs..... tous les cieux intérieurs ; 
il ne s'arrête qu'en son Orient...
 là et où et d'où il a premièrement surgi... au jour de son éternité. 
Oriens ex alto... ascendens in altum... homo ad cor altum... : 
Surgi  d'en haut, élevé en haut, l'homme avec son coeur en haut...

« Qu'avez-vous donc, hommes de Galilée, à rester ainsi tout béants, les yeux fixés aux nues! »
 Ita veniet,
 « Ainsi viendra-t-il (Actes 1, 11). 
Il ne vous a quittés que pour vous revenir. 
Ne quittez pas, vous, Jérusalem, la cité sainte... et demeurez
en votre  fond en attente ardente.

Marie était seule, au Samedi-Saint, à attendre dans la foi
Au lendemain de l'Ascension, ils étaient avec elle cent vingt dans le Cénacle...

Et la Pentecôte fut la consommation de Pâques, le passage de Jésus aux siens,
 en son Esprit...ce qui donnera l'Église.
 « Lorsque viendra l'Esprit que je vous enverrai d'auprès du Père » (cf Jn 15,26)...
 l'Esprit que je vous enverrai du « fond »...
l'Esprit qui vient du « fond » où vous m'aurez rejoint...,
où je vous aurai non seulement préparé une place, mais réellement placés,
consedere fecit, « il les fit asseoir » (Eph. 2,6),
parce que Pater.. volo ut ubi sum ego, et illi sint mecum,
« Je veux, Père que là où je suis eux aussi soi (Jn. 17,24).

« Nous célébrons le jour très saint où Notre Seigneur ton Fils unique, fit asseoir à la droite de ta gloire notre fragile substance qu'il s'était unie » (Canon romain pour l'Ascension).
Le jour qui fixa à son Zénith le soleil de justice quand le Seigneur monta l'homme jusqu'à la droite du Père
jusqu'en son Orient...

Jésus, avant de retourner au Père,
 avant de rentrer dans le Soi,
 en Soi
 a jeté les bases au moins d'un groupe qui continuerait visiblement son Être et sa mission, indiscernables l'un de l'autre.

Qu'est-ce que l'Église ? 
Et qu'est-ce que l'Esprit que Jésus, rentrant au Père, a envoyé du Père, a Patre, et qui a fait naître l'Église ? 
Qu'est-ce que l'Esprit, sinon la « Possession », l'emprise de Jésus par le Père
, la « possession » par le Soi de son corps de manifestation.
« Possession » avec toute la gamme de sens que comporte le mot.... 
L'Esprit pousse Jésus au désert ; 
il était auparavant descendu visiblement sur lui au moment du Baptême dans le Jourdain. L'Esprit s'était déjà emparé de Marie... de Siméon... de Jean Baptiste. 

 L'oeuvre accomplie, Jésus retourne au Père, rentre dans le Soi. 
Mais, en partant, il laisse aux siens sa propre « possession » par le Soi,
 l'emprise même sur Lui du « Soi »,
 sa propre Relation au Père,
 son propre genius,
 ce que nul maître sur terre ne pourra jamais transmettre à ses disciples,
 nul père à ses enfants....

 Les Apôtres, son Église, c'est Lui continué, en toute rigueur de terme. 
Son « Corps » mystique. 
L'Église est essentiellement le « corps » révélateur du Soi, du Père, étendant la révélation du Soi, de soi,
 par le Christ à chaque lieu, à chaque temps, où il se trouve un fils d'Adam.

Et qu'est-ce l'Eucharistie ?
 C'est après le passage de la Parole en chair, 
le passage de la chair en nourriture,
 apportant à chacun des « initiés » - des « baptisés » - en chaque point de l'espace et du temps, la communion sacramentellement efficace au Révélateur lui-même, 
 réalisant en chacun d'eux sa propre et essentielle « possession » par le Soi
 « à ceux qui le mangent, Il donne l'abondance de l'Esprit » (Hymne Christum Regem).

La Messe est pour le sannyasi la rencontre quotidienne et Mystérieuse avec son Guru, 
sa remontée sacramentelle jusqu'au Sad-Guru,( son Guru véritable) 
afin d'avoir part à la propre possession de son Maître par le Soi,
 à sa possession divine ,
 à son Esprit,
 et,
 communiant à son Guru, de passer au Soi.
 
C'est dans le Soi de son guru que le disciple rejoint le Soi,
et  se rejoint soi-même. 

C'est par son guru seul qu'il va à Dieu...
 le guru n'étant - selon la conception de l'Inde - que la forme prise par Dieu pour attirer du dehors au-dedans le disciple vers Soi.

Quelle communion plus totale et plus fréquente et plus constante, sur le plan de la Chair, comme sur le plan de l'esprit que celle du sannyasi chrétien avec son Maître?
 avec son « Initiateur »,
 son introducteur « au-delà du voile »
 au-delà du « rêve »
, au-delà de l'illusion ( maya),
 dans la Réalité ?

Dans l'instant indécomposable du rite, la Messe renouvelle pour le communiant, afin qu'elle soit sienne, l'oeuvre total ,du Guru universel
 de l'origine à la consommation de l'univers,
 du jaillissement primordial jusqu'au retour final des mondes en Dieu.

Et que sera le retour de Jésus ?
, l'objet de l'attente parousiaque de l'attente eucharistique ?
 Et que sera cette Résurrection ultime ce Deus omnia in omnibus,de ce « Dieu tout en tous » (1 Cor. 15,28), sans que chacun cesse pour autant d'être soi-même ?
 Et ce Mystère du « créé » qui dans le Fils coéternel est passé lui aussi à l'ekam eva advitiyam, à la Déité imparticipable ?

« Celui qui croit en moi a la vie» (cf. Jn. 6,47),
 il est passé de la mort à la vie, 
il est passé à Soi, 
celui qui a mangé ma chair et bu mon sang (cf. Jn. 6,53).

 , Mysterium fidei. (Canon romain).
« Mystère de la foi »

+

 

          Retour à la table des matières

         Glossaire