Peux-t-on encore demeurer chrétiens ?

 

l' expérience de l'advaïta peut sembler à de nombreux lecteurs quelque chose d'étranger à sa foi...et de terriblement dangereux pour elle
Il n'en est rien...et le Père Le Saux explique ici pourquoi.
Je me contente de résumer voire de paraphraser sa pensée tout en adjoignant quelques citations légales

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En son réveil de la nuit de l'advaita, le jnàni ( le méditant, le renonçant) quand il est de foi chrétienne  se retrouve seul en présence du Père
ou plutôt il trouve  la présence du Fils au Père, 
présence du Fils en laquelle il est lui-même inclus.

 Mais à ce moment il est rare qu'il arrive à se distinguer lui-même...
 ou à distinguer le monde à l'intérieur de cette
bouleversante expérience.

 La prière que sa foi lui inspire est encore enveloppée dans le Tu  que le Fils adresse  au Père...de tous temps...

 C'est un peu ce que saint Paul disait aux Colossiens : « Votre vie est cachée avec le Christ en Dieu; c'est quand le Christ lui même apparaîtra que vous aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire »
(Col 3, 3-4).

C'est alors qu'au Mystère même du nom du Père,
 l'Esprit révèle à l'âme la grandeur du Mystère  ineffable...

 L'homme comprend alors que l'invocation du nom de Dieu : Abba,
n'est pas une étape inférieure de la prière... 
 une étape seulement dans la Rencontre avec le Père...
et désormais le   nom « Dieu » semble ouvrir des abîmes tout nouveaux ...

 Pour le Nazaréen, s'adresser au Père sous le nom de « Dieu », 
c'était lui chanter un cantique d'amour incomparable,
 qui libérait au coeur du Père des trésors inestimables de tendresse et de compassion.
 aussi jour après jour
, la miséricorde et l'amour du Père lui apparaissaient plus dignes d'adoration et plus manifestes dans la création et dans la vie des hommes.


A mesure  que l'âme pénètre davantage dans « l'intérieur de Jésus » ,
 l'Esprit lui fait réaliser plus intérieurement aussi le sens véritable de ce nom de « Dieu »,

et l'âme découvre ou plutôt recouvre tout le Mystère du Plérôme...
 elle retrouve toute la création,
tout l'univers visible et invisible,
 tous et chacun d'entre les hommes, 
elle-même enfin...
 
Tout trouve sens et raison d'être dans la splendeur suprême de l'amour infini....

et le Père Le Saux poursuit :

 " Quand, enfin, le jnani chrétien s'éveille en l'éveil même de Jésus en tant qu'homme et créature, tout devient à nouveau Réel pour lui :
 Réalité de l'amour de Dieu,
 de cet amour qui, jaillissant du coeur du Père, se manifeste dans le Fils
 et qui, en l'Esprit, est infinité pure.

Le Christ est essentiellement le premier d'une multitude de frères.(...)"

puis il ajoute :

"Quand il s'éveille à lui-même en l'éveil à Dieu , le jnani chrétien se retrouve à nouveau dans le monde auquel il appartient, mais
à un niveau beaucoup plus profond. 
De par son corps, il participe à l'univers entier,
 au temps comme à la distinction et la multiplicité des choses."


 "Alors que pour son frère hindou, toutes choses sont réelles de la réalité du sat,  
de l'être pur duquel elles ne sauraient en rien se distinguer.
 Mais  n'a aucune valeur absolue  sur le plan de l'avenir

Pour le jnani chrétien, au contraire, le monde est  marqué du sceau même de l'Absolu,
 un monde dont la réalité, dans sa temporalité comme dans sa diversité, est fondée en l'Être de Dieu."

Un monde assumé... par le Fils ...

Un monde marqué par le péché qui peut être conçu comme une
kenôse plus profonde  encore de l'Être, 
car il implique, non seulement la dépravation naturelle de la plénitude essentielle ,
 mais aussi un refus de l'Être lui-même par la créature."

et le Père d'ajouter encore:

"Et ce monde est beaucoup plus que le monde en son « essence intelligible », le kosmos noêtos dont s'enchantait la spéculation hellénique, et que le monde des « Idées divines » de la philosophie platonicienne, qui induit si facilement l'esprit à se maintenir a niveau des abstractions.
 C'est le monde en sa réalité divine elle même,
 le monde tel qu'il est pour Dieu, au-delà de la pensée de la compréhension humaine, 
le monde en tant que manifestation libre de Dieu,
 « secret d'amour caché de toute éternité en Dieu et maintenant manifesté dans le temps à travers la création de toutes choses par l'intermédiaire du Christ » "

...le monde de la Réalité qui lui ouvrit l'intuition de l'Être-en-soi

 Pour le chrétien il n'y a point de descente du Réel qui est Dieu, au monde « irréel »... 
du Soi au soi...
 de l'Être au devenir...
 
C'est au sein même, de l'Être qu'il découvre la réalité du temps, du devenir, du particulier et du multiple....


Dieu en son éternité et Absolue Présence,
 avec tout son amour infini, 
avec sa force créatrice
 est pleinement présent dans la plus infime particule de matière ou le plus petit instant du temps,
 dans le grain de sable,
 dans le microbe le plus infinitésimal,
 et dans le plus humble des événements de l'univers ou de la vie de l'individu. 

 Non pas présent, dans une sorte de manifestation diminuée ou dégradée de la matière dont le sage devrait s'échapper par la pensée ... 
ou par la volonté ... 
ou encore par l'« isolement » ou la contemplation... 
afin d'atteindre au Réel.
 
Non,
 le Réel c'est cela même.

même si notre perception en est souvent 'incomplète, maladroite ou inexacte
car relayée par notre organisme même

mais l'ermite hindou nous demande de bien garder cela en mémoire:
 
"Quand Dieu crée, 
quand il se porte à la rencontre de l'homme,
 cela advient toujours au sein de sa propre manifestation intérieure. 
Dieu agit toujours dans la plénitude de son Mystère."
 
Indivisible, il ne peut se manifester partiellement. 
...et c'est son infinité même qui se manifeste dans le plus infime instant qui passe
 et de la plus petite particule de matière emportés dans le tourbillon du devenir....
 
 Si Dieu est là, s'il se dit là, c'est en raison de la souveraine liberté de son amour.
 Nul nécessité ne le meut ni du dedans ni du dehors."

(...)


"Tout, ici-bas, révèle sa  Présence et son Amour,
 à ceux du moins qui ont « des yeux pour voir et un coeur assez humble et pur pour adorer.
 
Dieu est dans la brise légère, 
dans l'oiseau qui vole,
 dans le rire et le jeu de l'enfant,
 dans chaque mouvement du corps et de l'esprit." 

 "Dieu vient à moi, dans ma temporalité et ma contingence;
 et néanmoins, cette « venue » demeure entièrement en Lui,
 dans les profondeurs de sa liberté et de son amour."

 Cette venue de Dieu à moi  est précisément l'acte de Dieu qui me fait être....
même si la distance entre Dieu et moi reste infinie.

La créature n'est pas « en dehors » de Dieu,
 pas plus la distinction et la temporalité qui la marquent .... 
Mais c'est au sein même de Dieu que l'homme reçoit son être et sa raison d'être. 
et dans le sein de Dieu, il n'a pas pour autant disparu...

 L'homme est la révélation en Dieu même de la profondeur de l'Amour divin. 
 C'est au coeur  de Dieu que l'homme  se trouve lui-même,
 un hymne vivant à la gloire du Tout Autre


Dieu est LE transcendant,  
Tout ce qui existe le manifeste et il est présent en toutes choses. 
Rien pourtant ne l'épuise ni peut le contenir 
Il renferme tout,
 il pénètre tout 
 néanmoins  il demeure à part, e Seigneur de tout, éternellement libre de tout lien'.

 

Nul en fait ne peut connaître son immanence s'il n'a fait d'abord l'expérience de sa transcendance. 
Nul  ne peut comprendre s'il n' a d'abord réalisé qu'IL consume et « néantise » tout ce qui l'approche. 
Rien ne peut subsister au contact de ce feu dévorant.

Cependant tout homme qui a entendu l'appel intérieur doit nécessairement suivre la voie qui mène du connu à l'inconnu,
 du manifesté au non-manifesté,
 et qui finalement témoigne de l'existence
d'un au delà de toute possibilité de connaissance, voire même de toute possibilité de manifestation. 

Sur ce chemin, l'homme doit se perdre en ce qui transcende toutes choses. 
Son esprit ne peut comprendre 
il n'a pas d'autre choix que de se laisser immerger.

"Ce que « Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment » 
c'est l'entrée même par la grâce dans l'inscrutable Mystère "

dit le Père Le Saux

 
Pénétrant  d'abîme en abîme dans la contemplation du Mystère 
Mystère de la création
Mystère de l'histoire et de l'évolution
Mystère de la vocation personnelle 
 l'expérience mystique  même si elle est chrétienne pénètre toujours plus profondément dans l'insondable Mystère divin.
 
Plus l'âme y pénètre,
 plus merveilleux et inscrutable encore lui apparaît le Mystère essentiel dont tout cela est le signe et la manifestation.

 Plus elle sait, 
et plus elle sait qu'elle ne sait pas.

Ainsi tout comme il ne se passe pas un jour sans que  les physiciens découvrent des particules encore plus minuscules que les plus infiniment petites,
 ou que les astrophysiciens repèrent ou observent des mondes encore plus éloignés que les infiniment lointains.
Il en va de même de celui qui contemple Dieu dans le Mystère de sa manifestation. 

Car quand on s'approche de Lui
 et que l'on croit l'étreindre dans l'intimité la plus essentielle,
 on se rend bien vite compte que l'intimité à laquelle on est appelé est toujours
hors de sa portée,
 infiniment au-delà...
 infiniment plus au-dedans...

 En la proximité même de Dieu,
 en sa propre présence à Soi, 
on découvre un monde de transcendance toujours plus abyssale.

C'est alors...
C'est alors que ne comprenant plus rien de rien,
 ni de Dieu, 
ni de soi-même,
 ni du monde extérieur,
 l'on accède à la seule Réelle Connaissance. 

On peut mesurer alors combien la hauteur,
 la largeur,
 la longueur
 et la profondeur' de l'Amour de Dieu dépassent toute connaissance. 

et tout comme le Christ on est admis à pénétrer jusqu'au sein du Mystère ultime...
 et on y trouve en même temps
la plénitude et la vérité de son être personnel.

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