Ce texte fait penser à ceux de Grégoire de Nysse
Un sommet de l'art du Père Le Saux
(gnose trans-intellectuelle qui n'a rien à voir avec les systèmes dits gnostiques du monde hellénique)
ou, lorsqu'il s'engage , aux éléments supérieurs du yoga
(Concentration, méditation et
absorption contemplative) en degrés successifs de concentration
spirituelle,
( ce qui revient au même ou à peu près, puisque c'est normalement
à travers eux que s'opère le passage définitif en jnàna
dans la Sagesse )
il ne peut pas ne pas arriver qu'il ne se découvre bientôt en un état d'esseulement insupportable.
L'origine en est la discrimination entre le Réel et le transitoire...
le viveka, qui de plus en plus s'impose à son esprit sous l'influence
de sa foi aux Écritures et à son Maître,
de sa propre réflexion
aussi... guidée par l'enseignement et les textes sacrés.
C'est qu'en
effet la voie de gnose n'est point la simple poursuite
intellectuelle
qui trop généralement a caractérisé la recherche philosophique en
Occident
et a tout aussi bien affecté souvent la spéculation théologique.
La découverte du Réel implique l'être entier.
Mais plus encore qu'en foi et réflexion, la raison de cet esseulement est à chercher dans l'influence de plus en plus marquée
sur tout son psychisme comme d'une Chaleur...
ou d'une Lumière
en lui...
provenant d'une source cachée au plus profond de lui,
l'influence dirait-on de cet état originel qui est le sien,
l'état naturel, inné au-delà
de sa propre conscience,
ou bien au centre
le plus ténu de son noyau mental.
Les réflexions sur la foi et la valeur essentiellement contingente de tout ce qui n'est pas
l'Absolu, sont renforcées et démesurément amplifiées par
cet instinct,
ce sens, qui se manifeste alors par ses effets,
non encore en lui-même dans le domaine des dons de science et d'intelligence.
Une désaffection de plus en plus totale pour tout ce qui
pas l'Absolu et l'Absolu en soi, se produit comme nécessairement
Et cette désaffection ne peut pas ne pas toucher aussi les élément
de la religion.
Leur relativité au temps,
au lieu,
aux hommes, etc ...
apparaît dans une Lumière tellement vive...
que l'intelligence,
assoiffée de Vrai Absolu, ne peut plus s'en satisfaire...
ni s'y complaire la faculté appétitive assoiffée de Bien Absolu.
Les éléments, les
essentiels de la foi perdent leur saveur de vérité...
Les formulations
des dogmes de la Trinité et de l'Incarnation eux-mêmes ne savent plus parler à l'âme.
Il faut absolument que l'âme perde le Dieu trois et le Dieu homme de sa conception pour se
laisser
engloutir dans le gouffre de l'Être...
de l'inconceptualisable Déité
qui irrésistiblement l'attire...
Il ne s'agit pas pour elle de vouloir
ou de ne pas vouloir :
il n'y a plus de choix.
Cette perte est subie
inéluctablement, que cela plaise ou non à l'âme.
Se rattacher aux éléments de la magnifique synthèse dont elle s'enchanta jadis
et qu' on lui propose maintenant du dehors, lui est totalement impossible.
Et de s'entendre condamner pour orgueil et infidélité ne l'aide pas
davantage...
tout au contraire... l'enfonce plus avant en
ce terrible esseulement.
Il ne lui reste plus alors que la
foi nue,...
C'est-à-dire une foi réduite
à un noyau tellement essentiel
que l'intelligence n'a plus nulle prise sur elle.
L'objet formel de la foi est l'adhésion à un Dieu révélant
plutôt même l'adhésion à la Véracité de Dieu,
à la Vérité de Dieu
qui déborde toute vérité atteignable par l'intelligence...
car c'est bien cela la foi :
la raison prosternée devant Dieu....
Cela c'est facile
après tout...
c'est la condition même de l'âme plongée au Saccidananda
(Être- conscience- béatitude)...
au secret le plus intérieur du Mystère de Dieu...
de l'âme, en proie à l'expérience nue de la non-dualité de
l'Être...
Mais la foi ne devient consciente, ' préhensible ', discernable par
l'intelligence,
que par le truchement de son objet matériel: les vérités révélées par Dieu,
elles même liées aux conditions de leur réception historique par l'homme
et de leur transmission.
Or dès que l'Absolu passe en termes de contingence,
dès que le Verbe passe en mots d'homme,
il subit, de ce fait même,
une indubitable kénose ....
Kénose...
Kénose c' est déjà l'état éternel du Fils , consubstantiel au Père
quand il s'incarne,
celui de l'Être lui-même quand dans la création il passe en condition de non-aséité et de
devenir....
L'Absolu
se cache sous le relatif,
l'Être
a se
qui se cache sous le devenant,
et dont le relatif et le devenir tirent toute leur réalité,
ne sont
identifiables ni à ce relatif, ni à ce devenir....
C'est par ce qu'il y a en eux, essentiellement, le Vrai,
le Bien,
l'Être et l'Absolu
qu'ils
attirent intelligence et volonté...
et c'est pourquoi...
après les avoir
,reçus avidement,
intelligence comme volonté bientôt se rétractent...
Car cette valeur d'Être que précisément relatif et devenir leur ont
révélé
les ont rendus
insatiables et insatisfaits
de ces signes
mais seulement de la
Réalité
qu'ils sont finalement.
C'est au-delà d'eux
ou bien
au-dedans d'eux,
en leur source essentielle,
qu'ils attirent inéluctablement ceux près de qui ils ont joué le rôle indispensable mais
non définitif de messagers : comme des anges de Yahwé.
Ni la création
ne révèle à l'âme la plénitude du Père,
ni l'Incarnation celle du Fils
éternel et consubstantiel,
ni l'Église avec ses saints et ses Prophètes
ne la font pénétrer aux profondeurs dernières de l'Esprit.
En cela
même qu'elles la conduisent vers l'Être en soi,
elles semblent lui
crier, du plus profond de leur Mystère :
va au-delà, ne t'arrête
nulle part !
Va au Père en lui-même !
, en ce qui en Lui échappe et
échappera à jamais à toute manifestation.
Va au Fils en lui-même !
à ce qui en Lui échappe à toute formulation du Verbe, de la Parole
qu'il Est.
Va à l'Esprit ! et
perds-toi...
en cette Fin absolue !
en cette
Clôture de l'Être !
jaillissant de l'épanouissement de la Divinité en
l'Engendrement Essentiel...
et la consommant en la non-dualité qu'IL EST
personnelle et terminale.
Et ainsi les mots d'homme en lesquels
s'est traduite la Révélation perdent en ce temps aux yeux de l'âme
toute valeur
et toute saveur d'éternité et d'absolu....
Seul l'Éternel
en Soi,
Seul l'Absolu en soi...,
pourrait la satisfaire,
et ni l'Éternel
ni l'Absolu en soi ne sont à la portée de la pensée de l'homme.
Les plus beaux raisonnements qu'on peut lui tenir sur la création à ce moment sont incapables de la toucher...
Elle a au fond
de soi - à elle-même inexprimable - un goût, non goûté
psychiquement
un sens non senti en ses facultés, de l'Absolu,
qui
l'empêche de sentir la valeur d'Être de la création en tant que créée?...
Elle ne peut que murmurer de l'Être avec les vieux Sages : ekan
eva advitiyam,
un, seul, et non-duel.
De la création elle ne peut
dire ni qu'elle est, puisque
Dieu seul EST
,ni qu'elle n'est pas...
Elle se trouve engagée dans un monde que ses yeux voient, que ses
oreilles entendent,
que ses mains touchent....
On la presse de prendre
position,
de déclarer si ce monde de la manifestation, de màya...de
l'illusion a pour elle réalité ou non. ?
Que peut-elle répondre en vérité,?
Que
peut bien être pour elle le sens de telles questions ?
Maya, univers de l'illusion !
le monde
c'est pour elle de l'irrationnel!
L'âme n'aimera pas user de ce grand
mot " d'illusion cosmique,"
car cela c'est décider ;
et qui ?
, qu'est-elle
pour ainsi décider de la Réalité ?
Tout ce qu'elle sait c'est
que l'être EST et seul EST,
et que
quelque chose a l'Être...
ce n'est que par et en celui qui seul EST...
...et pourtant il n'est rien hors l'être ...
et il n'est rien
au-dedans de l'être ...
C'est pour elle le Mystère insondable que nulle philosophie ne saurait résoudre...
Au bord de l'abîme
duquel toute vraie philosophie ne peut que conduire...
car le rationnel est incapable d'épuiser l'Être.
...
On lui présente alors la foi....
Mais la foi, en son objet matériel
n'est-elle pas tout entière aussi bien contenue au plan du cosmos
et de la raison ?
C'est à travers les concepts et à travers les catégories de temps et d'espace que la Révélation parvient aux individus...
Et la formulation de la Révélation participe elle aussi au même stigmate
de contingence que tout le reste du créé.
En l'épiphanie de l'Être,
en son sein, l'âme a reçu la révélation de l'inadéquation de
toute
formulation de l'Être.
L'expérience, même simplement approchée
de non-dualité opère en l'âme, plus que tout le reste de sa
vie...
...drastique psychanalyse !...
L'âme se rend compte de plus en plus inconsciemment sans doute,( mais les résultats sont très nets
de cette prise de conscience subliminale) , des éléments subjectifs
qui sont entrés dans ses jugements de vérité et de valeur...
Elle se rend compte combien par la périphérie d'elle-même elle est
attachée
à la périphérie de la foi... et des thèses philosophiques
traditionnelles.
La foi chrétienne se nimbe pour elle par exemple de tout le merveilleux éveil à la vie que fut son enfance,
de cet éveil à la famille... à la connaissance... à l'amour
et à Dieu aussi,...
conçu
selon les catégories mêmes en lesquelles elle devenait un enfant conscient,
un 'homme' qui s'éveillait à Soi...
Puis dans son intelligence formée aux disciplines occidentales, grecque, scolastique,
lesquelles
ont vécu en continuelle symbiose avec la foi chrétienne,
et qui moulèrent
le milieu social et mental en lequel précisément elle s'éveilla
à l'Être et grandit....
La foi lui est en quelque manière... connaturelle.
Mais est-ce pour cela une foi profonde et réelle ?
Peut-être le tronc même de la foi s'enracine-t-il au centre vraiment d
'elle-même?
les éléments essentiels de la foi aux éléments essentiels de la conscience ?
Peut-être aussi, n'y a-t-il que des attaches périphériques,...?
comme les racines
adventives du banian ?
Une foi fondée seulement sur des 'noeuds 'du psychisme ?
Noeuds complexes provenant de besoins à satisfaire...
matériels,...affectifs... intellectuels
?
Noeuds conduisant à cette merveilleuse synthèse que prose le
christianisme...
si attirante pour un "esprit grec" capable de
s'y nourrir chaque jour plus voluptueusement !
Tout cela est ersatz !
C' est ce genre de foi qui ne résiste pas aux mises à jour brutales de la psychanalyse ou aux discussions philosophiques
dégagées !
à plus forte raison à cette
exigence par le dedans
de l' expérience d'advaita.
Une attache périphérique au Christ et à l'Église...,
Un bien-être
d'ordre intellectuel et affectif que l'on ressentait dans l'enseignement du Christ,
dans l'attachement et abandon à l'Église,
si
rassurants pour l'enfant qui dort en chacun de nous,
avaient empêché
souvent que l'on prêtât attention suffisante aux difficultés
rencontrées....
On parlait orgueilleusement du sens de l'Église, de l'Esprit témoin en nous de la
Vérité...
alors qu'au fond c'était tout
autre chose....
Maintenant tout cela tombe...
...et l'on ne peut plus ruser avec soi-même.
Tout ce qui est senti, tout ce qui est perçu, l'on sait maintenant que
ce
n'est que de l'adventice....
Le drame est alors entre la foi chrétienne et les
nouvelles exigences de
l'Absolu.
La foi chrétienne se dit en possession de l'Absolu ... puisqu'il y a une véritable
Création, une véritable Incarnation
du Fils de Dieu en un temps et un lieu donnés...
les formules dogmatiques de l'Église, aussi bien que ses lois institutionnelles et ses
interprétations de la loi morale, lient l'homme avec la force même
de l'Absolu....
Cette Église semble la voie absolument unique vers l'Absolu....
Mais pour la mentalité hindoue, et donc pour l'hindou qui parvient
à l'expérience du sahaja (l'état primordial du Sage), le cas est tout autre.
Ici toute oeuvre
divine dans la création est essentiellement jeu,
lila.
Shiva est aussi
bien le destructeur que le créateur et conservateur des mondes.
D'ailleurs il n'y a pas à proprement parler de création.
Rien n'est
vrai au monde, rien n'est vrai, au plan du créé !
C'est ce que l'imagination hindoue a exprimé aux jeux de l'espiègle Krishna enfant, et tout autant
de Krishna adolescent ou jeune homme....
Rien ici-bas n'a de réalité
que provisoire....
L'Absolu est toujours au-delà....
Les formulations
importent peu, il n'est pas de dogmes.
De culte, pas davantage.
Il y a sans doute des obligations au plan social, mais le plan social
est essentiellement temporaire, provisoire....
Un jour vient ou
l'homme doit
le dépasser
s'il veut réellement atteindre sa fin....
C'est le stade du sannyasa,
Stade de la vie de renoncement total, en lequel
il n'est plus aucune obligation quelconque, ni sociale, ni cultuel,
stade auquel on accède par 'envoi' officiel (l'initiation des écritures sacrées) ou bien par compulsion intérieure.
(
pour plus de renseignements
suivre le lien)
Alors pour celui qui
a réalisé
ou du moins qui, en apparence humaine, est en proximité
de réalisation,
quoiqu'il n'ait plus nul besoin de recourir aux rite
et formules,
rien ne l'empêche d'en faire usage pour aider le
autres...
Le danger serait qu'il s'y attache à nouveau....
Mais il lui suffit
d'en jouer, sans y engager son coeur,
à la façon du grand garçon
qui joue avec son petit frère.
Tout est apparence pour Ramana
Maharshi.
et c'est d'un autre plan qu'il parle...
Il ne peut y avoir entre l'advaita,
la non-dualité et la religion hindoue, en particulier
ce conflit tragique qui se présente, apparemment du moins
entre l'expérience advaitine, même simplement approchée, et l'engagement chrétien et ecclésial.
Aussi n'y a-t-il pas normalement chez
l'hindou l'équivalent des 'Nuits' des mystiques...
si du moins il a compris la lilâ qui sous-tend toute sa religion.
Cela explique
aussi la tolérance générale de l'hindou, sauf naturellement envers
quiconque refuse la lilà de ce monde....
Nuit sans doute que cette
expérience pour lui aussi, puisqu'elle le sèvre de tout ce qui fit
sa joie au plan religieux...
Cependant cette même religion qui a formé.
son être intérieur lui crie, de ce même dedans où elle l'a fait pénétrer, que c'est toujours
au-delà et au-delà
encore qu'il doit tendre !
comme une
mère qui elle-même met son fils devenu d'âge entre les bras de
la fiancée qui l'appelle...
C'est pour obéir aux exigences ultimes de sa religion que l'hindou dépasse tous les rites et toutes les formules
sa religion.
L'hindouisme n'est pas tragique.
Devant les mùrti (les statues des temples) qui lui symbolisent le plan suprême, l'hindou danse, chante et offre des
fleurs.
Il ne peut connaître le tragique de la Rédemption à effectuer
la passion de Dieu
et la participation par l'homme, dans la
foi et la crainte, à cette passion divine "nécessaire" au salut de
chacun.
Dans la perspective hindoue, rien en réalité n'est à atteindre...
tout est ;
et le salut est-il autre donc que réaliser cette bienheureuse expérience que
JE SUIS ?
Le christianisme vise à arracher l'homme à ses conceptions humaines
...
mais... c'est à soi,
à son expression communautaire ecclésiale,
en celle-ci,
à des formulations, à des lois, à des gestes qu'elle
le lie à nouveau...
et tout cela n'est-ce pas encore de l'humain ?
Cet 'humain' l'Église en fait un
Absolu...
A ce moment l'homme ne peut qu'éprouver cruellement sa condition d'être jeté là, si fortement vécue par les existentialistes
de ce temps.
L'individu se trouve jeté là ...
mais d'où vient-il, où va-t-il ?
sans doute sait-il - par les autres - qu'il est né de tels parents, en tel lieu, à telle date.
Mais de cela il n'a lui nul souvenir, nulle connaissance immédiate !
A mesure qu'il remonte au fil de sa mémoire, ses souvenirs s'estompent,
s'espacent,
... et finalement il n'y
plus qu'un trou noir....
Avant le temps dont il se souvient,
il était déjà,
car c'est d'un être qui était déjà avant cela qu'il se
souvient en le souvenir le plus reculé qui lui revient de son enfance.
Il n'a
le souvenir, ni l'expérience d'aucun commencement.
Il est là....
D'où vient-il ?
Où va-t-il ?
Les hommes qu'il croise sur sa route lui donnent chacun leur vue à ce sujet.
Quelle est sa destinée ? sa raison d'être ?
A-t-il quelque obligation à remplir ?,
quelque chose à faire qui lui revienne en propre ?
Il demande, il écoute, il apprend, il raisonne
il voit le bout de tout...
Et il se rend compte que tous
ses raisonnements sont liés à des états
subjectifs...
et que toutes les philosophies qui prétendent l'éclairer sont liées elles-mêmes
aux temps, aux lieux, aux cultures, aux tempéraments divers.
Il se sent environné de Mystère,
Mystère autour de lui...
Mystère d'abord en lui...
Lui...?
Lui un organisme qui mange, boit, dort, se reproduit
et il sent bien qu'il n'est pas simplement cela...
il y a autre chose.
Quoi ?
Qui est-il ?
Le Mystère du dehors, est-ce seulement ce non-connu
que la science délivre, et tue comme mystère en le mettant à
jour?
Alors se présentent les religions :" viens à nous si tu ne veux
pas
perdre ton âme pour l'éternité."
Ainsi le christianisme et chacun des groupes chrétiens à part
qui chacun prétendent à l'infaillibilité.
Ainsi l'islam....
Ainsi l'hindouisme
qui lui murmure:
"ne perds pas ton temps ici ou là, hâte-toi d'échapper à
la
chaîne des renaissances"... "lance-toi une bonne fois sur le chemin direct de la délivrance finale,
le chemin de moksha.
Et il y a encore
dans le monde tous les grands humanismes non religieux : marxismes rationalismes divers.
Chaque individu a grandi dans l'un ou l'autre
de ces systèmes....
Mais un jour il en ressent tout le relatif.
Alors,
Ko'ham ?
Qui, que suis-je ?
Rien de ce qu'a atteint sa raison
même guidée par la foi, ne peut plus le satisfaire,
Rien de ce que les hommes enseignent comme rationnel,
Rien de ce qu'ils disent transmettre comme révélé.
Tout cela c'est relatif,
Constitutivement l'homme a au fond de soi la soif de l'Absolu-en-soi.
Et le jour où ce fond en lui s'est révélé...
alors ...
alors c'en est fait de toutes les satisfactions où l'homme se reposait;
son repos n'est plus possible
tant que cette soif inextinguible demeure insatisfaite.
Qui pourrait
revenir au lait de sa mère ?
et qui peut reprendre au sérieux les jeux de son enfance ?
L'homme porte en lui le drame de l'Absolu dans
une existence contingente.
L'homme est la kénose de l'Être.
Toute
la création sans doute est l'état kénosé de l'Être.
Mais au-dessous de l'homme, l'Être ne le sait pas.
Et en cela même qu'il prend conscience qu'il EST, l'homme prend conscience
que cette
conscience
précisément qu'il a d'être n'est pas à la mesure de l'être.
Il est
l'être qui par un instinct très sûr se sait être,
mais il n'arrive
pas à se retrouver soi-même,
Il est
cet individu particulier, marqué de telles qualifications qui le différencient et le mettent à
part qui n'arrive pas à se retrouver dans l'Être.
Il est le nageur que les vagues ont emporté et qui ne retrouve plus le sol sous ses pieds:
Il remue et étend ses membres tant qu'il peut, rien où
s'agripper
nulle part...
Ses facultés ne peuvent plus s'accrocher au Réel....
Elles ne rencontrent plus que des ersatz de réel...
des formulations
valables sans doute en ce monde du créé, du relatif, du contingent
- en ce monde dont la figure passe et disparaît -
mais toutes
tant qu'elles sont, incapables de faire passer l'homme à l'Absolu
qu'IL EST.
C'est en vérité ce paradoxe fondamental de l'existence humaine que la théologie chrétienne a mis en lumière,
en montrant que
l'homme par ses forces de nature est radicalement incapable d'atteindre à Dieu...
et que cependant cet appel à Dieu est inscrit au coeur même de sa nature.
Le péché originel n'est-il pas cela ?
le stigmate congénital de
l'homme qui se découvre jeté là dans le monde, incapable de s'atteindre en
sa réalité dernière ?
l'homme non-achevé hors la Grâce ?
et la Grâce donnée en le seul Christ ?
Alors en ce moment de sa marche vers Dieu, l'appel de l'Absolu
en l'homme devient tel, que, soit par simple libération intérieure,
soit par circonstances extérieures,
l'homme vit un esseulement
essentiel.
Appel déchirant de ce Mystère qui le dépasse ...et qu'il ne
saurait nommer.
Nulle aide vraiment efficace chez ses frères les
hommes...
On voit ici le paradoxe de la société !...
L'homme individu exsude
la société, et la société aide l'individu.
Cependant...
Cependant ni mon frère
- si aimant et dévoué soit-il - ne peut manger pour moi,
ni mon frère ne peut atteindre pour moi l'Absolu.
Moi seul puis atteindre ma fin.
A ce moment suprême toute aide est un inutile fardeau,
tout essai d'aide ne fait que m'enfoncer davantage dans le gouffre
de mon esseulement en me faisant réaliser que finalement je ne
dépends que de moi.
Et moi, qu'est-ce ?
Moi,...?
Moi ? je n'arrive même plus
à me retrouver...
Nul appui ni à côté, ni derrière, ni en face, ni
dessus, ni dessous
. Mes frères sans doute cherchent à m'aider, mais
chacun m'appelle sur un chemin différent;
et tous leurs chemins
semblent pour moi tourner en rond dans ce cercle étroit où se
réduit le monde...
Or justement c'est d'une voie sûre pour sauter
hors de ce cercle que j'ai besoin !
ou bien c'est de retrouver ce
cercle depuis l'au-delà de ce cercle où cette expérience de l'Absolu
m'a fixé...
L'angoisse, elle, est de ce monde qui passe... et qui se dit commensuré à l'éternité.
L'angoisse, c'est que chacun me crie que je dois à tout prix
retrouver pied sous peine de me perdre,...
alors que pour moi nul
désir réel n'en est plus.
L'Église se dit divine, et l'Esprit la mène...
cependant quelle kénose terrible de l'Esprit dans l'Église !
Aux yeux
de l'histoire et du point de vue phénoménologique tout ne s'explique-t-il pas très simplement dans son développement par des
lois sociologiques ?
Alors où aller ?
Et à mesure que devient plus pressant l'appel de l'Absolu,
plus grave et plus angoissé encore
me revient l'avertissement de cette Église.
Et plus l'Église crie de s'accrocher à elle, seul rempart de la vie éternelle,
plus fortement aussi, du plus fond de mon expérience
de l'Être, il m'est crié :
quoi donc d'impermanent ?,
quoi donc de ce
qui passe serait-il capable d'atteindre le permanent ?,
de parvenir
à ce qui ne passe pas ?
Nul n'atteindrait à l'Être si déjà il n'était
l'Être !
Nul ne passerait à l'éternité si déjà sa demeure, son origine,
son lieu de jaillissement n'était l'éternité.!
Simplement réalise ô homme, ce que tu es
!
« Je regardai : il n'y avait point d'aide » (Isaïe 63.5)....
Le Mystère intérieur appelle, d'une force déchirante,
et
nul être au-dehors ne peut m'aider à y pénétrer...
et à découvrir pour moi le secret de mon origine et de ma destinée.
C'est à moi à découvrir ce secret, de réaliser mon '
salut'
. Et si la voie du concept
se dérobe,
quelle autre voie me demeure pour découvrir le secret
de ce soi par qui la pensée est pensée et qui ne se ramène
pas à la pensée ?
Le secret de cette conscience profonde et absolue,
immanente à toute pensée, à tout état dit de conscience,
sans jamais cependant s'identifier à quelque point que ce soit de ce flux
conscient,
à ce JE que je suis
et que par nul acte de moi ni au-dedans, ni au-dehors, je ne saurai atteindre ?
Et si j'accepte de plonger,
de jouer le tout pour le tout,
comme
l'officier qui referme le capot de son sous-marin et se laisse aller aux grands fonds ?...
Mais n'est-il pas de dangers aussi sur
voie du kevala ?
- de la solitude de l'Absolu, de la nudité de l'Être ?
Le risque tout
de prendre des ersatz d'expérience pour l'expérience.
La voie de kevala est terrible dans sa nudité !
Et l'esprit consentira mal à cet Absolu dépassement de soi. ...
Il cherchera par tous moyens à se retrouver le long du chemin
, à s'arrêter,
à se retourner,
à découvrir
quelque nourriture intellectuelle,
espérant toujours qu'il arrivera
à échapper à la marche à l'abîme.
Le risque essentiel est de prendre
pour le kevala l'idée de kevala,
...de renoncer à ses synthèses rationnelles d'antan
pour des synthèses d'un autre genre mais à
nouveau
d'ordre de
l'en-deçà,
et finalement de se retrouver simplement sous d'autres cieux, sans avoir franchi la voûte.
L'éternelle aventure d'Icare...
Reste la Grâce !
+
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