TAT TVAM ASI
TU ES CELA...
Expérience étonnante que celle des profondeur de tout être...quand il arrive là où l'on ne peut plus dire je...et où pourtant il serait tout autant ridicule de se prendre pour le Divin ( Brahman)...
Dans cette splendide méditation le Père Le Saux nous explique le sens de la sentence: Tat tvam asi...qui peut se traduire par : " Toi aussi tu es Cela !"
Cet extrait est tiré de Intériorité et Révélation paru aux éditions Présence
+
Le sat c'est l'Être;
l'atman c'est le Soi;
le Parama-atman, c'est
Autant de voies que l'homme emprunte pour remonter vers le Suprême...
pour retrouver ou bien redécouvrir Dieu.
Chacune de ces voies a certes sa coloration propre,
ses étapes particulières,
mais finalement l'une et l'autre n'aboutissent-elles pas
à l'unique Absolu, ?
le kevala, en son adamantine pureté ?,
le kevala en sa
nudité de résurrection ?
...
toutes étapes franchies, toutes colorations
disparues ?
Car des étapes, cela veut dire de l'espace et du temps...
et dans le kevala, il n'est plus ni de temps ni d'espace....!
Et des
colorations et des choses diverses... cela veut dire maya...illusions...
les mirages
dont s'enchantent les yeux de l'homme,
ses oreilles et sa langue,
son coeur et son esprit eux-mêmes...
tant qu'il n'a pas encore
percé le Mystère du mirage...
et découvert
l'ineffable Réalité
dont
ses yeux de chair et d'intelligence firent un Mirage.
Là ...
là il n'est
plus ni saveur, ni odeur, ni couleur,
mais Cela...
Cela ...qui, une fois perçu,
est le rassasiement plénier que nul mot de ce monde ne saurait
suggérer.
Cependant, l'Être, le sat, n'est-ce pas de l'abstrait ?
Le Soi, l'atman, n'est-ce pas de l'impersonnel ?
diront ceux d'Occident.
Comment par cette voie parvenir au Dieu vivant et véritable?
Comment rejoindre le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ?
le Dieu qui se révèle sur
l'Horeb ?
Le Mystère du moi, lui aussi, contient le Mystère de Dieu.
Et à mesure qu'elle monte vers Dieu, la contemplation du moi se dépouille elle
aussi... drastiquement,
de toutes ses colorations,
de tous ses savourements,
et s'immerge au sommet, comme
les autres, dans le kevala sans nom...
Peut-être cependant que...
de par
le caractère essentiellement personnel, vivant , concret de son
point de départ, elle est susceptible d'aider davantage
( ceux
du moins qui n'ont pas fait la suprême expérience )
à redécouvrir
l'émergence...
au-delà
du kevala...
au-delà
de la nudité de l'Absolu,
dans le mystérieux « trans-advaita » de la triple personnalité
du Dieu Créateur.
Dire moi, qu'est-ce que cela veut dire ?
Moi, est-ce un mot de la terre et du temps ?...
est-ce un mot de l'éternité ?
L'homme a-t-il vraiment le droit
dire : Moi, Je, Aham ?
AHAM, ...
mystérieux terme sanskrit qui révèle la première
personne,
la personne essentielle...
composé de la première (a)
de la dernière lettre de l'alphabet (ha),
s'achevant comme le AUM ( OM) la syllabe sacrée,
symbole de l'Absolu dans la résonance
nasale
qui introduit au Mystère.
Aham n'implique-t-il pas l'absolu ?
, l'indépendance, l'auto-suffisance,?
la totale autonomie et liberté ?
Quel sens a de dire « Je » ?
, si un autre derrière moi a la possibilité de contrecarrer celui qui « énonce » ce « Je » ?
Dieu seul, n'est-il pas habilité à dire seul JE, Moi ?
Ego Dominus.
Et lorsque l'homme dit moi, aham, n'est-ce pas là une usurpation ?
Ou plutôt, dans le Je qu'il prononce... l'homme n'usurpe-t-il
pas et ne prouve-t-il pas à la fois le divin ?
Et il n'est pas dans la créature de signe plus manifeste de Dieu,
!
du Dieu vivant et personnel !
que cette conscience de
« Je suis »,
fondamentale en tout être qui
pense.
Et il n'est sans doute pas pour l'homme de chemin plus direct vers son Créateur que cette plongée en sa conscience
d'Être...
en cette conscience qu'il a d'être... et d'être soi-même,
en cet abîme
de l'Être,
où et que...
il est !
L'antinomie suprême, n'est-ce pas que l'homme puisse
à la fois dire
« Je suis », « moi », et... « Je ne suis pas Dieu » ?
Cela à lui seul ne dénonce-t-il pas la condition informulable de
créé ?
et l'impénétrabilité du Mystère de la création ?
« Je suis ceci », je suis cela », dit l'homme;
ou encore : « Je ne suis pas ceci », « je ne suis pas cela ».
A « je suis » comment pourrait-il être un attribut ?,
du moins un attribut réel ?,
c'est-à-dire qui ne fût
pas pure tautologie ?
,pure répétition de la même idée sous une autre forme ?
un attribut qualificatif, limitatif ?
L'attribut, c'est de
« l'irréel »
!
« Je suis »...
<<Je suis>> est contradictoire à toute limitation...
depuis la limitation du corps grossier, que
je
ne saurais être...
,jusqu'à ce qu'il y a de plus haut dans l'esprit...
Rien ne peut être non attribué à ce qui est,...à Celui qui est.
...
Tel est le problème que retournèrent l'Orient et l'Occident...
et que
Shankara crut résoudre par la théorie de Maya ...
et la scolastique chrétienne par celle de l'analogie.
Aham brahma asmi Je suis Brahman...Je suis Dieu
c'est ce qui fut révélé aux Upanishads !
Mais
n'est-ce pas une tautologie , la répétition d'une même idée sous une autre
forme?
A moins que la formule, comme le
pensent certains, n'implique encore une certaine dualité...
et ne nous ramène donc dans l'inexplicable...?
N'est-ce pas plutôt... ainsi que le montre l'autre grande énonciation du Védanta
,
le tat tvam asi,
« Tu es Cela »,
Ultime démarche de l'esprit sur le point d'atteindre à la Réalisation
Suprême...
et donc à son propre sombrement,
...attirance, captation définitive du sujet par l'attribut, ?
captation de aham par Brahman,...?
de tvam par Tad ? ... de
es
par
tu ?
Le vulgaire s'imagine peut-être que c'est moi ?
c'est-à-dire le personnage que je nomme...
et que les autres nomment Pierre ou Paul , que j'identifie avec Brahman...?
Rien en vérité de
plus grotesque
que le
brahmane au ventre bedonnant s'attribuant la divinité. !
Mais tel
n'est pas le sens, certes, de la grande sentence...
Pour essayer de comprendre...
ne pourrait-on, très respectueusement, rapprocher
cette phrase du Mystère de la consécration
eucharistique.
Hoc est enim corpus meum...
ceci est mon corps...
Hoc, ceci, ne veut pas dire « ce pain »....
Le fait même d'attribuer
au pain la chair du Christ a déjà fait disparaître le pain...
Si, comme les paroles de la consécration eucharistique, la prononciation même du
aham brahman asmi,
du tat tvam asi avaient
valeur et efficacité sacramentelle
elles transformeraient par le fait même le moi phénoménal, le moi
superficiel,
celui qui
s'attribue
les actes du corps et ceux des facultés mentales,
celui qui plonge dans le samsara et passe de naissance en
naissance, en le moi brahamique,
en le moi de Brahman,
en le Moi Suprême et Unique.
Aham et tvam ne représentent plus le dénommé Pierre ou Paul, mais Brahman lui-même
!
Tad - Cela...
l'Un...
Nul n'a le droit vraiment de prononcer les « grandes sentences>>
que celui qui au plus profond de soi a expérimenté le moi brahamique,
qui a réalisé le
« Je suis »
le aham-aham
de l'ineffable expérience de la connaissance d'être.
Mais déjà peut
le faire en espérance
celui qui, sur la foi des
Écritures et de son Maître, sacrifie à
la Vérité non encore éprouvée le repos si agréable en son « Inscience »...
Et en fait celui qui a totalement le droit de le faire, le fera-t-il
plus jamais ?
Qui a reçu la plénière illumination sentira-t-il encore
le besoin de se répéter les grands mantras ?
La consécration
n'a-t-elle pas été opérée par l'invasion de l'Esprit au-dedans
?
Comment séparer dès lors encore, (quand bien même ce ne serait que pour
exprimer leur identité) dans son langage de bouche ou de coeur
ces deux termes
aham et Brahman... je et Brahman...?
tvam et tad ...tu et es...?
« Tu es cela! »,
« Je suis Brahman ! »,
« Je suis Lui
! »( So'ham)
« Je suis Shiva! »( Shivo'ham)
, tous ces mantras qu'aiment
répéter les pieux hindous, sont des mots de la « Voie » ;
Aham ( Je),Aham-aham,( je -je) est l'unique mot du « Terme ».
Et même pour la Voie, il est des guru, tel Sri Ramana, qui
ne les conseillent pas,
... sinon à ceux qui ne sont pas assez fort
pour s'avancer dans le chemin désert du kevala ( de la Réalité et de la
Nudité de l'Être).
Pourquoi en effet se
« distraire » à penser « Je ne suis pas ceci », « Je ne suis pas
cela »,
en se dépouillant successivement par l'imagination de ses
enveloppes sociales, corporelles, ou mentales ?
A penser « Je suis
ceci », « Je suis cela », « Je suis Lui »?
en tâchant de concevoir
le vrai en termes d'intelligence ?
Ne vaut-il pas mieux - rentrant en soi son esprit,
le plongeant en soi-même -
se concentrer
totalement sur ce « Je »...
sur cet aham fondamental que l'on
entend résonner en soi...
au tréfonds de toutes ses pensées...
au fond de
tous ses vouloirs...
...de tous ses actes...
...et de ne plus prêter attention( ce qui est tout autre que s'en dépouiller consciemment et
avec effort )- aux revêtements occasionnels, successifs et impermanents de cet
aham
,
...jusqu'au moment où l'attention à l'aham lui-même se dissipera...
... et s'évanouira dans la
fulgurance...
...au sein du fond, de
L'AHAM
unique et transcendant !
«Dans l'intérieur de la cave du coeur Brahman (le principe de la
vie universelle)
seul luit la forme de l'atman (le principe dernier de
l'Être)...
sans intermédiaire
il s'y manifeste comme « Je ».
Pénétrez donc
dans le coeur !...
plongez-y jusqu'au fond,
et là où demeure l'atman,
demeurez».
(Sri Ramana Gitâ, 11,2).
Je, moi, aham, répètent à plaisir les hommes,
ne cessant de
prendre en vain et de profaner ce terme sacré, ce mantra des mantras.
L'égotisme est un sacrilège !
l'égotisme, l'ahamkilra dit
le sanskrit, est une usurpation !
L'égotisme est le péché, le mal
fondamental, le redressement (
à pleurer ? ou bien à prendre
en
pitié ? ne vaut-il pas mieux en rire, tant il est vain
) de
la créature devant son Créateur !,
le non serviam qui voudrait
s 'opposer à l'Ego Dominus,
la faute initiale...
celle de Lucifer et
celle d'Adam, à laquelle participe chaque créature.
Qui prononce en foi et vérité le aham brahma asmî, signifie
par là-même qu'il ne « reconnaît » plus ce moi superficiel auquel
jadis il avait porté tant d'intérêt,
qu'il est entièrement passé au
moi unique et divin
et de même le Voyant,
qui respectueusement et ineffablement répète dans le silence
de son coeur cet « aham » mystérieux,
plongeant aux profondeurs
de l'Être et de Dieu,
que désormais à peine il ose prononcer
de sa bouche....
Il semble que désormais non plus il n'existe plus rien pour lui...
au-dehors comme au-dedans,
en soi comme en les êtres,
sinon l'Unique résonance de l'Unique aham brahma asmi...
de l'unique
aham,
...d'où viennent tous les mots que dirent les Écritures...
et
tous les mots que prononcent les hommes...
et tout ce que transmet la voix de la nature...
le bruit incessant et multiforme de son roulement à travers l'espace et le temps...
le Cantique de la
Création, comme disait Clément d'Alexandrie...
Car en cet aham,
en cet éternel Prononcement de la Bouche du Père,
tout dans
l'être se tient
...
Omnia in Ipso constant (Col. 1,17) ( tout subsiste en Lui)
...
N'est-ce pas là le sens du OM fondamental?
sa plus primordial
élicitation,
quelque chose de correspondant à la Révélation du
Buisson ardent :
Ego sum qui sum - Yahwé...- aham, aham
L'âme
qui sait
ainsi est au-dessus...
ou bien très au-dedans
des noms et des formes (namarùpa), de soi-même et des êtres.
Son corps, ses sens, ses pensées,
les autres hommes, tous le
vivants, les plantes et les pierres elles-mêmes ;
la terre, le ciel
TOUT !,
Tout semble dès lors lui crier :
OM ! aham brahma asmi ( je suis brahman)
OM ! aham ! ( je suis)
OM ! tat tvam asi
( tu es celà) !
De ses oreilles elle n'entend plus
d'autre son,
de ses yeux, elle ne contemple plus d'autre lumière
elle ne goûte plus d'autre saveur,
elle ne connaît plus d'autre odeur
de son intelligence elle-même, elle ne saisit plus d'autre
réalité...
Non pas qu'elle distingue alors dans les êtres comme un substrat brahamique qui serait pure réalité et un namarùpa
superficiel qui serait pur maya .
Dans la terminologie scolastique non plus l'on ne saurait séparer dans l'existence l'accident de la substance;
la substance soustraite, comment l'accident pourrait
subsister ?
Le divin, en propres termes,
l'influx causal et créateur
divin,
pénètre jusqu'aux fibres les plus extérieures, les plus
superficielles, les plus « accidentelles » de l'être,
tout comme aux
moelles les plus intimes de la substance;
Le divin, qui n'est pas
une simple notion ontologique, le simple concept d'être,
mais le Moi,
l'AHAM puissant du Dieu vivant et véritable.
Le Voyant
seul n'est pas trompé.
Non pas : « Tout est Dieu! » comme le panthéiste...
mais « Rien n'est que Dieu !
»
Là où le profane ne voit que noms et formes vulgaires,
là où l'initié adore une
manifestation divine,
l'« éveillé », ne saurait plus voir
que Dieu...
Qu'en est-il alors advenu du moi de l'homme ?
Ne serait-il donc pour lui nulle résurgence de ce total sombrement ?
Mystère à pénétrer dans la foi et le silence.
Le Silence éternel
du sein du fond
du coeur d'Arunàchala
,
en lequel a sombré
le « Je » que dit la créature
et à l'intime de qui s'élève,
unique et solitaire
,
le triple « Aham » suprême du Silence divin
(
Arunachala, la montagne sacrée de Tiruvannamalai, prise ici dans
le sens de forme visible du Seigneur Suprême.)