dest.jpg (16245 octets)   Premiers pas dans le désert...

 

Abraham est le premier a avoir fait un pas hors de lui-même...vers l'Inconnu...vers l'Autre qui l'appelait... du plus loin de son silence...au delà de celui-ci...

Alors la terre pris l'allure de chemins...et Abraham comprit que la vie est une longue marche dans le désert...

" YHWH dit à Abrâm: va vers toi-même, quitte ton pays, ta parenté, la maison de ton père...va vers le lieu que JE te montrerai ( Gn 12,1) "

Aller dans le désert c'est d'abord partir vers soi- même...c'est à celà que nous sommes invités...

Pour se connaître véritablement soi-même, il faut savoir quitter un certain nombre de mémoires...avec lesquelles nous confondons notre identité...
Quitter le connu...le reconnu que nous croyons être...
Pour l'inconnu... le méconnu que nous sommes...en Vérité...

Inutile je pense de détaille içi les multiples attachements ou crispations...tous légitimes..
.la maison...le père...la mère...et bien d'autres...qui nous évitent le face à face avec notre néant...

Philon d'Alexandrie dira que quitter la maison de son père c'est quitter le langage, c'est à dire les références qui nous structurent...
Lorsque la conscience n'a plus un mot...plus une image...plus un concept pour se dire...elle entre dans un espace infini que symbolise bien l'espace sans limite du désert...

Mais cette marche à travers le silence...vers l'infini et le sans limite de soi-même n'est pas démarche d'anéantissement...elle renoue avec ce que l'homme a d'Eternel...cet Eternel qu'il est lui-même...et que lui voilent les occupations et les préoccupations du temps...

Pour Abraham cet Eternel est un Autre...une altérité qui le fonde...
se connaitre soi-même c'est se découvrir connu... dira l'Evangile de Thomas...
Dans l'immensité et l'immobilité du désert on sait qu'on ne se crée pas soi-même...on sait que le moindre de nos souffles vient d'Ailleurs...

Se connaitre soi-même c'est connaitre le Vivant qui nous donne d'être ce que nous sommes...et connaitre que ce Vivant est toujours prêt à nous retirer...comme à nous offrir le souffle de nos narines...

Il y a des prétentions et des autosuffisances qui ne résistent pas à un Vrai quart d'heure de méditation dans le désert...

Abraham et les Patriarches aimaient s'asseoir à la tombée de la nuit à même la terre nue...sous les étoiles...bénissant leur fatigue...souriant de leurs désirs dérisoires...
Il leur arrivait d'être là...terriblement là...au point de ne faire qu'UN avec CELUI qui est là Présent...

Présence ardente et silencieuse...Présence de l'Etre...Présence de l'Autre...qui nous efface et qui nous fonde...

 

Quelques pas plus loin...

On peut aller au désert pour se connaître soi- même ou pour rencontrer l'Autre qui nous fonde...
On peut y aller aussi pour fuir...fuir le monde...fuir l'injustice...
On peut y aller parce qu'une question nous ronge...et nous ne connaîtrons pas le repos avant d'en avoir vécu la réponse...

La première fois que Moïse se rendit au désert c'était pour fuir...fuir l'état totalitaire qu'il venait de découvrir et qui maintenait ses frères en esclavage...

A la violence,  il avait répondu par la violence, en tuant un garde qui maltraitait un Hébreux sans défense...
L'histoire de Moïse n'est pas sans rappeler celle d'un autre prince, élevé lui aussi à l'abri de toute souffrance...et qui un jour découvrit la douleur et la mort...
Siddharta Gautama...le futur Bouddha...
Lui aussi après cette rencontre de la Souffrance partit au désert, avec cette question qui était la sienne...qui fut celle de Moïse ...qui est toujours la nôtre:...

" Pourquoi la souffrance ?...Pourquoi le Mal ?...Pourquoi l'injustice ?"

Que faut-il faire pour en sortir ?...être délivré du Mal , de la Souffrance, de l'Injustice ?

Ce que Moïse découvre au désert, c'est qu'avant de poser la question du Mal il faut se poser la question de l'Existence...
Avant de se demander pourquoi il y a de la souffrance dans le monde...il faut se demander pourquoi il y a un monde ...

" Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?"

L'expérience de Moïse va rejoindre ici celle d'Abraham...Dans l'infini du désert il va découvrir la vanité et la fragilité des univers...

Qu'est-ce que l'homme... qu'est-ce que le monde ?...

" Une goutte de rosée au bord d'un seau"
dira le prophète Isaïe...

Comme la goutte de rosée au soleil,... en même temps que son moi, s'évanouissent les questions de Moïse...
Il est devenu " le plus humble des hommes"...il est redevenu humus...terre nue sous le ciel vertical...et s'occupe de ses moutons...

Mais au désert s'il n'y a rien... il y a quand même des buissons, des buissons épineux...

Du fond de la vacuité naît un murmure qui pourrait bien être celui de la compassion...
il y a quelque chose plutôt que rien !...

Comment faire pour que ce quelque chose ne souffre plus ou souffre moins sous le soleil ?...

Question épineuse...ardente...

 

Les buissons épineux...

Aller au bout d'une question fondamentale, essentielle est une forme de traversée du désert...
Moïse est allé au bout de la sienne...il en ressort brûlant mais non consumé...
Une Voix s'est fait entendre...l'Etre n'est pas indifférent à la misère des hommes...le Mal n'est pas fatalité...il est aiguillon pour que se manifestent les facultés créatrices de l'homme...

" YHWH dit: j'ai vu la misère de mon peuple qui réside en Egypte. J'ai prêté l'oreille à la clameur que lui arrachent ses surveillants...
Maintenant va, je t'envoie auprès de Pharaon pour faire sortir d'Egypte mon peuple
( Ex 3, 7-10)"

Mais dans le désert Moïse a oublié le langage... sa parole est devenue brève et hésitante...le désir d'ordonner et de conduire l'a quitté...la fréquentation de ses abîmes le porte davantage à l'effacement...

" Qui suis-je pour aller trouver Pharaon...et pour faire sortir d'Egypte les enfants d'Israël ? " ( Ex 3,11)...Je ne sais point parler...Envoie qui Tu veux !...

"Qui suis-je ?" est la bonne question à se poser dans le désert...
La réponse après quelques jours de soif ne se fait jamais attendre: " RIEN !"

" JE NE SUIS RIEN !"

Moïse a vécu plus d'une fois cette réponse...mais il découvre maintenant qu' au coeur de ce Rien...un Rien épineux... vit une Force, une Présence...un " Je suis avec toi"...

Et c'est là un des grands cadeaux du désert...découvrir qu'on est jamais moins seul que lorsqu'on est seul...au delà du moi il y a un pur " Je SUIS"...
Là où cèdent nos forces, se réveille une nouvelle Energie...
Là où s'arrête notre compréhension naît une autre Conscience...

Découvrir qu'il y a en soi plus grand que soi...plus aimant...plus intelligent que soi...c'est ce qui nous donne la Grâce, comme à Moïse, de revenir vers la ville pour inviter ses amis au désert ...

Mais Moïse était-il naïf ?
Pensait-il que trois jours suffiraient au peuple pour faire l'expérience qui était la sienne ?
C'est pourtant ce qu'il demandera à Pharaon: " Trois jours de marche dans le désert pour y servir Dieu "...

Dans le projet primitif le désert ne devrait être que cela...non pas un itinéraire...mais le lieu d'un instant mystique ...

Il suffit d'un instant pour lâcher prise...pour renoncer à ses illusions...et découvrir Celui qui EST quand nous ne sommes plus rien...

Un instant, trois jours ne suffiront pas aux Hébreux...
Ils devront errer quarante ans dans le désert...beau chiffre pour symboliser les épreuves, la maturité qui viendront peut-être à bout de nos identifications, de nos représentations...pour que nous puissions toucher enfin la pierre précieuse... la terre promise...l'Incréé qui veille au fond de nos coeurs...

 

Le second désert ...

Lors de son premier désert, Moïse était seul avec sa question...seul avec la Présence qui le tenait debout et éveillait en lui la compassion pour ses frères...
Désormais il marche avec tout un peuple...un peuple à la nuque raide...qui préfère la souffrance à la vacuité...l'esclavage aux grands espaces du désert...les oignons et les cailles à la manne insipide...

Il les emmenait au désert pour qu'ils se taisent...et que dans le silence ils entendent une Parole qui compte...
et voilà qu'ils bavardent... ressassent leurs mauvais souvenirs, leurs mémoires de guerres...

Moïse avait rêvé d'un peuple qui n'aurait pas de roi, pas de chef, pas de Pharaon...
Seul Celui qui Est ce qu'Il EST serait leur Maître...

Mais voici que dans le désert comme ailleurs, à la tyrannie succède l'anarchie...et Moïse est sous le feu d'une nouvelle interrogation...y aurait-il une Loi ? ...un ordre à donner à ce peuple ?...des règles simples que chacun pourrait suivre et de cette adhésion de chacun à la Loi naîtrait l'harmonie de tous ?...

C'est ainsi que la Thora vint s'inscrire en éclair dans la nuée obscure de son âme...

Hélas, ces paroles devinrent vite des paroles de pierre...elles servirent plus à lapider qu'à délivrer...la Loi devint une nouvelle tyranie plus subtile encore...

Certains diront la Loi de Moïse caduque parce que remplacée par la Loi du Christ...
A  " Obeis et tu sera heureux" il faut préférer " Aime et fais ce que tu veux"...
Mais cette parole elle aussi est usée...
Combien s'en sont servis pour justifier leurs égoïsmes...combien d'hypocrisie et de culpabilité engendrées...
On ne peut aimer sur commande !

Le désert du Sinaï a une autre parole à nous donner aujourd'hui...une loi, une ordination qui viendrait s'inscrire au dedans de nous et dont la pratique rétablirait un moment un peu d'ordre dans l'individu et par voie de conséquence dans la société...

" Sois conscient et fais ce que tu peux !"

Si tu le veux , tu peux ne pas avoir d'autre Dieu que Dieu...n'être l'esclave d'aucune idée, idéologie, image ou illusion...

Il n'y a pas d'autre Réalité que la Réalité !

Tu peux préférer le Réel indestructible à la buée de tes songes...

Tu peux honorer ton père et ta mère, ils ne sont pas la Source de ta vie...mais la vie s'est donnée à toi par eux

Tu peux ne pas tuer...préférer le Pardon au crime...être plus grand que ta colère ou ton honneur...

Tu peux ne pas voler...prendre plus de plaisir à être honnête qu'à t'enrichir de façon injuste...

Tu peux ne pas mentir...être joyeux et sans peur devant la Vérité...

Tu peux être libre de toutes convoitises...désirer ce que tu as...aimer ce que tu es...

Tu peux aimer ton frère comme ou plus que toi même...

En un mot...Tu es capable d'amour...tu es capable de conscience...

Il n'y a pas un instant à perdre...chaque instant est l'occasion d'une nouvelle Alliance...chaque Joie comme chaque épreuve celle d'une plus grande conscience...

 

La fête au désert...

Quand Moïse redescend de la montage il entend les cris et les danses...des bruits de fête en l'honneur d'un veau !...
On peut comprendre sa colère ou son dépit...son envie de réduire en miettes les belles paroles qui viennent de s'inscrire dans sa chair...
Que sont venus chercher ces hommes et ces femmes dans le désert ?...
Ni loi, ni amour, ni conscience...non...de la gaité ! ...de l'animation !...du monde !...
Un veau ! ...c'est à dire du visible...du palpable...du mesurable !...

L'Etre dont parle Moïse n'est pas visible...n'est pas palpable...il est sans mesure...

La Joie pour lui est de sentir sa Présence " dans le silence d'un souffle subtil"...
La Fête pour lui c'est de se sentir immobile sous le ciel étoilé...


Une fête trop simple peut-être...une joie sans objet...joie pure qu'aucune absence ne peut ternir...

Car si le désert n'est pas un jardin...mais un creuset où notre buisson d'humanité passe par le feu pour s'éveiller à l'Etre Essentiel...s'il est le lieu des révoltes et des nostalgies...si on y regrette ses habitudes...si on y a peur de l'inconnu...s'il aiguise notre faim de connaissance et de tendresse...

Le désert est aussi un Jardin pour celui qui creuse dans l'instant, à chaque pas, son puit...
Il connaîtra sur ses lèvres brûlées le goût toujours inattendu de l'Eau vive...

+

Toujours d'attaque pour continuer encore un peu ?

suite

ou préfère tu méditer encore ? dans le silence et le recueillement...