Spécial Mahu

 

Le sujet des Mahus rejoint la question du genre que l'occident n'a jamais su différencier du sexe biologique d'un individu.
Alors que le sexe est déterminé par le physique ert varie en fonction de la physiologie autour de deux pôles déterminés génétiquement ( homme-femme)  avec toute une game d'intermédiaires ( parfois même d'anomalies généyiques fines) le genre lui est la façon dont une société habille le sexe par l'éduction parentale ou sociale .
Or cette "habillage du sexe" devrait supposer une prise de conscience de sa propre identité sexuelle ( en dehors de toute référence biologique) et d'un choix personnel de sa propre sexualité .
Même si des progrès ont été faits à ce sujet en occident on est encore loin du compte . Puisje vous renvoyer à ce sujets aux excellents écrits de Judith Butler

http://ermitage.ouvaton.org/spip.php?article778

 

ainsi que l'excellent livre de  François Bauer " Raerae de Tahiti - Rencontres du 3ème type editions Haere Po Tahiti 2002 dont son extraites ces lignes

.La compréhension de l' histoire des Mahus passe essentiellement par les écrits des premiers navigateurs européens...reparties dans les archives du monde entier - un véritable travail
d'ethnologue .
 Les narrations sont incomplètes, voire dénaturées par une imagination débordante ou par une méconnaissance des coutumes polynésiennes. A cela s'ajoute la pudeur des témoignages de l'époque, qui, au nom de la morale chrétienne, supprime de nos esprits la sexualité des Polynésiens.

Les premiers voyageurs retracent l'existence de mahu sur un ton qui prête à sourire de nos jours. Cependant, malgré les préjugés moraux de l'époque, leurs témoignages nous permettent d'interpréter leurs moeurs. Les écrits de Bligh, Morrison et Willson décrivent assez bien leur existence. En raison d'un contact permanent avec les Tahitiens et d'une bonne connaissance de leurs coutumes, ce sont les écrits missionnaires qui nous renseignent le mieux sur la sexualité des âmes polynésiennes. Malencontreusement, ces gens ne l'ont étudié que sous l'angle de la religion, sans doute pour mieux convertir leurs futures ouailles.

La volonté de cacher des moeurs jugées honteuses poussa les missionnaires à occulter systématiquement les mahu. Au fil des années, la censure morale effaça l'histoire de ces personnes "licencieuses"''.
De plus, suite aux premiers contacts avec les Blancs, la société tahitienne subit de profonds bouleversements et les voyageurs qui suivirent ne découvrirent qu'un pâle reflet de celle-ci. Tout cela contribua à donner une place erronée du mahu dans la société tahitienne pré-européenne. (...)

Chez ce peuple de tradition orale, il ne reste plus rien de la connaissance transmise par les anciens. Tout s'altère, tout s'efface dans ces îles sans écrits...
(...)

Ethnologues et anthropologues s'interrogent depuis quelques dizaines d'années seulement sur l'origine des mahu. Les travaux des Américains Besnier, Niko, Kerry et Lévy analysent ce troisième sexe, appelé the third gender. Ils apportent des éléments de réponses à nos interrogations, mais expliquent uniquement la société contemporaine. Fortuitement, Mark Eddowes, un anthropologue anglais, vient de communiquer les résultats de ses recherches sur la place des mahu dans la société traditionnelle". Attention, ses affirmations décoiffent et nous obligent à revoir nos acquis sur la question : Chaque ari'i (noble) possédait son mahu. La bisexualité était omniprésente... (...)

Curieusement, le Mémorial polynésien, un ouvrage de référence, ignore les mahu et dans son Dictionnaire de la langue maorie, édition 1949, Monseigneur Tepano Jaussen, alors vicaire apostolique de Tahiti, ignore même le sens du terme mahu en tant qu'homme efféminé... !!!

(...)

Au temps de la découverte des iles polynésiennes, les seuls hommes efféminés connus des occidentaux étaient les eunuques de l'Inde. L'homosexualité choquait profondément et cet "acte de bestialité", condamné par Dieu, était puni comme un crime par la loi des hommes.
[ En fait cela étéit lié au puritanisme du 18ème spécialement anglais ..;car dans les siècles précédents le "petit mal" était connu et accepté depuis longtemps...mais caché..] Pour un Européen, il semblait inconcevable qu'une société, même primitive, puisse développer de telles pratiques sexuelles. Et pourtant, cet "acte contre-nature" se pratiquait couramment dans ces îles, mais sans les tabous moraux que nous lui connaissons en Occident [ depuis on a évolué et trouvé soit dans les sociétés asiatiques des Samouraï, soit ches les Indiens d'Amérique ( Bernaches) des équivalents ]

(...)

.Après avoir entretenu le mythe de la Vahiné et et du bon sauvage à la suite de la découverte de ces iles par Bougainville en 1767 s'installait la London Missionary Society ( L.M.S.) qui devint vite une véritable théocratie protestante,accomplissant pleinement sa mission d'évangélisation.

Les péchés remplacèrent alors vite les tapu, elle détacha de leur culture traditionnelle les insulaires et leur imposait une existence rigoureuse".

Elle occultait tout ce qu'elle considérait comme inconvenant et dévoyé. Il fallait évangéliser ces âmes en perdition. Elle régentait, au nom de son Dieu, l'esprit et le comportement des Polynésiens, un peuple décadent, en proie au démon de la chair".
N'oublions pas que le christianisme, au travers des siècles, érigea en dogme le péché originel. C'est le seul péché que Dieu ne pardonne pas. Encore mieux, à sa naissance, l'individu devient porteur de ce péché.

Or la culture sexuelle des Tahitiens se trouvait à l'opposé de ces croyances.

Néanmoins, on ne peut totalement dénigrer le travail des missionnaires. Habités d'une foi ardente, ils réussissaient à supprimer l'infanticide, l'anthropophagie et les sacrifices humains. A force de persévérance, ils inculquaient aux Tahitiens des principes communautaires qui corrigeaient leurs travers coutumiers. A l'image de Charlemagne, ils créaient les premières écoles, permettant aux enfants d'accéder à la connaissance.

Et  les indigènes résistaient, cette évolution ne se faisant pas aussi facilement que prévue. Ils vilipendaient ces Popa'a incirconcis et malpropres surpris de la chasteté des missionnaires catholiques, abstinence qui était interprétée comme une infirmité méprisable. Quant au protecteur attitré de la L.M.S., le roi Pomare II, en cours de conversion, cela ne l'empêchait pas de se livrer, sous leurs fenêtres, aux beuveries et à la débauche, entouré de sa cour d'homosexuels. Un missionnaire de la L.M.S, en guise d'oraison funèbre après le décès de ce roi le décrit dans son journal intime comme un ivrogne et un sodomite ! ....


Au cours du dix-neuvième siècle, la Polynésie connaît de profonds bouleversements où la colonisation, par l'intermédiaire des puissances de tutelle tenait un rôle primordial. A la suite de l'annexion de Tahiti à la France, celle-ci réalisait plusieurs recensements. Basés sur des évaluations, recoupés par des renseignements tirés des registres de naissance, ils donnaient des résultats sommaires, mais confirmaient une chute démographique impressionnante des populations autochtones. Cette période de contact avec l'Occident déstabilisait la vie traditionnelle et générait de véritables fléaux comme l'alcoolisme et les maladies vénériennes. Elle engendrait des épidémies et décimait les populations indigènes, mal protégées contre les maladies extérieures,,-.

Le voyageur de l'époque ne pouvait manquer de constater la triste agonie de ce peuple aux repères traditionnels perdus. L'assimilation ne se faisait pas comme prévue. Pour les colons, le Tahitien, autrefois comparé à un enfant pur et innocent, était devenu un individu civilisé artificiel. Il sait lire et compter, mais reste une brute qu'il faut mater et apprivoiser". Voilà l'image que se faisaient les colonisateurs du fier guerrier ma'ohi au siècle dernier ! Quant aux mahu, ils avaient disparu, rayés de l'histoire polynésienne par la morale chrétienne.

Toutes les sociétés n'ont pas une conception rigide de ce qui est acceptable socialement, de ce qui est typiquement féminin ou masculin. De nombreuses cultures, dites primitives, possédaient une plus grande tolérance envers "l'atypicalité" des hommes efféminés. Les garçons d'allure androgyne n'assumaient pas les rôles conventionnels attribués aux hommes. Leur position variait d'une société à l'autre ; ces adolescents, distincts des autres, étaient acceptés et faisaient même l'objet d'attentions particulières. Non seulement on leur offrait une place sécurisante dans la société, mais ils avaient quelquefois le privilège d'assumer un rôle sacré. (...)


Les mahu ont toujours été présents dans l'histoire polynésienne. Ils s'inscrivaient dans une structure sociale organisée en fonction de règles bien précises et admises par tous. Mahu est une expression ancienne qui désigne les hommes efféminés de Tahiti. Elle puise son origine dans le mot fakahine, qui se rapporte aux mahu des îles Fidji, et fafahine, aux îles Samoa. En Polynésie orientale, on retrouve un terme similaire, hakahine ; toutefois, on lui préfère le terme mahu. A la différence des jeunes guerriers vindicatifs, ce terme désigne un individu mou et patient qui préfère rester à la maison. Aux îles Marquises, l'expression équivalente est mahoi.

Malgré une différenciation coutumière homme-femme très marquée, la société tahitienne reconnaissait le genre spécifique des mahu. Pour mieux comprendre leur histoire, il importe de l'étudier en tenant compte des structures sociales au sein desquelles ils vivaient et non en les marginalisant. Nous devons nous défaire de nos préjugés d'Occidentaux et accepter le fait que, lorsqu'une société reconnaît ses "homosexuels"', elle les intègre dans son système.

A l'adolescence, dès que leur comportement efféminé était perçu, les mahu recevaient une initiation différente : pas d'épreuves physiques,pas de. guerre, ni de chasse pour eux". Les femmes leur inculquaient la féminité, les anciens mahu, la pratique des hommes. Ils apprenaient à féminiser davantage leur allure. Ils s'épilaient les poils, entretenaient leur longue chevelure, apprenaient à parler sur un ton plus aigu. D'une grande propreté, ils se baignaient continuellement à la rivière', s'enduisaient le corps d'huile de coco et se parfumaient aux extraits de fleurs.

Favoriser leur féminité naturelle les ravissait, leur tempérament insouciant se prêtant merveilleusement bien à cette vie narcissique. La plupart d'entre eux possédaient un corps androgyne aux organes génitaux inconsistants, un sexe dont la croissance paraissait inachevée. Ils dissimulaient ce sexe inutile entre leurs cuisses, ne laissant apparaître que la toison pubienne, ce qui donnait l'illusion d'un ventre de femme. Cette éducation féminine se soldait rapidement par des contacts sexuels avec les jeunes hommes et les confirmait dans leur statut de mahu.

Une fois adultes, ils observaient les mêmes règles que les femmes. Ils mangeaient à l'écart des hommes et ne pouvaient consommer leur nourriture avant eux. Ils participaient aux travaux collectifs qui incombaient aux femmes. Ils s'habillaient, chantaient et dansaient avec elles. Assumant les tâches manuelles de ce sexe, ils s'occupaient d'enfants, d'ouvrages ménagers, en intervenant uniquement dans la vie domestique. Très habiles de leurs mains, ils confectionnaient des nattes, des tapa ainsi que des vêtements : capes, ceintures de toutes sortes et
ornements de plumes. Ils étaient aussi appréciés par la noblesse, qui en faisait ses domestiques. Dans cette société fortement hiérarchisée, les femmes étaient séparées des hommes et le peuple séparé des chefs. Tenus à l'écart de la religion et de la politique, les mahu n'avaient aucun droit. Cependant, ils menaient une vie relativement protégée.

A l'égal des femmes (considérées comme impures), ils n'étaient jamais sacrifiés aux dieux. ( tout en étant considérés comme purs;..plus même car souvent adfulés comme "chamanes spécifiques des relations avec l'invisible à cause de leur hypersensibilité) Il leur était interdit de participer ou même d'assister aux cérémonies sur les marae' ( temples). A Tahiti, ils ne se faisaient jamais tatouer. Vécu comme une épreuve initiatique difficile, le tatouage se pratiquait progressivement durant l'adolescence, quelquefois sur des parties extrêmement sensibles du corps. Et pourtant, aux Marquises, ils se faisaient tatouer comme les femmes, sur les chevilles et parfois sur les jambes. Les mahu de' Tahiti, s'occupaient de l'enseignement de la danse et de l'organisation des festivités ari'i. Encore aujourd'hui, des mahu connus dirigent des groupes célèbres, avec un sens certain de la chorégraphie et du spectacle.

De nature gaie et insouciante, ils avaient surtout des relations sexuelles avec les garçons adolescents. Ceux-ci, une fois circoncis, disposaient librement de leur corps jusqu'à l'âge des fiançailles. C'était le temps du taure'are a', lorsque les adolescents faisaient leurs propres expériences pour devenir des hommes. Le jeu favori de ces garçons, qui ne pensaient qu'aux plaisirs, était de courir les filles qui se cachaient dans la brousse. Mais ils ne trouvaient pas toujours de filles disponibles. Continuellement prêts à s'amuser, c'est là qu'intervenaient les mahu. En l'absence de partenaire féminin - les filles étant beaucoup plus rares que les garçons''( à cause certainement de l'infanticide consenti afin d'avoir plus de guerriers, de marins et de bras...) Vives un officier de Bougainville, rapporte : "Je ne sais s'ils empêchent l'augmentation du sexe féminin, mais il nous a paru cinquante hommes contre une femme." Cette constatation est certainement liée aux méfaits de l'infanticide, particulièrement celui des filles.)

Les adolescents reportaient sur eux leur excédent de sexualité. Ils profitaient également de ces premières expériences comme d'une initiation sexuelle. Aujourd'hui, malgré l'interdit des Eglises, cette pratique persiste encore mais avec une discrétion qui ne peut nuire à la réputation des garçons.
Les mahu ne pratiquaient pas l'homosexualité comme le conçoivent les Occidentaux. Il n'existait aucun sentiment de culpabilité, ce type de rapport étant parfaitement reconnu par la morale naturelle. Entre mahu, aucune relation sexuelle avec les femmes, uniquement par faiblesse pour leur beauté ou pour "rendre service". il faut dire que les femmes, attirées par le charme de certains mahu, insistaient parfois excessivement. Le rapport sexuel avec les hommes était fortuit et consistait essentiellement en une fellation. Le mahu à l'issu de la jouissance du partenaire recrachait la semence. Quelquefois il l'avalait, car d'après les croyances, le sperme transmettait la force et la vitalité de l'homme.
Parfois l'homme jouissait entre les cuisses bien serrées du mahu. Durant cette relation, le plaisir du mahu importait peu, seul comptait le plaisir de son partenaire. Il semble qu'à l'occasion de réjouissances, les mahu transformaient parfois celles-ci en de véritables orgies, pratiquant le sexe à l'extrême, suçant et masturbant à plusieurs tous les jeunes hommes présents.
Le ou les partenaires une fois satisfaits, chacun repartait à ses occupations.


Les sentiments n'existaient pas dans ces contacts rapides. Le jeune homme assouvissait uniquement ses envies primaires. Vivre maritalement avec un mahu semblait inconcevable, la relation ne pouvant être la conséquence de sentiments partagés. Les rôles sexuels avec les mahu étaient parfaitement définis. Un comportement inversé, l'homme assumant le rôle sexuel du mahu, apparaissait comme méprisable aux yeux des Tahitiens. Et pourtant les plaisirs du sexe étaient quelquefois partagés. Il semble que les Tahitiens ne s'adonnaient pas à la sodomie ; ils paraissaient choqués lorsque les premiers voyageurs leur décrivaient cet acte. Ce type de rapport sexuel serait apparu avec l'arrivée des premiers homosexuels européens. ( enfin ... si l'on peut croire certaine pudeurs spécifiques)

Passer d'une femme à un mahu n'offusquait pas, les genres sexuels n'étant pas marqués comme dans notre culture. Seuls importaient les plaisirs de la chair avec toutes ses variantes sexuelles. Ce comportement naturel engendrait certainement des rapports "bisexuels" fréquents. S'ils avaient été jugés dégradants, les mahu n'auraient pas survécu à l'histoire. D'ailleurs comme leurs aînés, les jeunes taure'are'a finissaient par prendre femme. Chose surprenante, les relations sexuelles avec les mahu se pratiquaient à l'insu des Popa'a ( étrangers= les blancs), les Tahitiens n'éprouvant pas cette réserve vis-à-vis des relations sexuelles avec les femmes...

L'explication pourrait être la suivante : en apprenant par les premiers missionnaires la colère divine et la fin tragique de Sodome et Gomorrhe, les Tahitiens n'auraient pas reconsidéré leurs pratiques sexuelles, mais se seraient adaptés à cette nouvelle morale venue d'Occident. "Les crimes contre-nature", qu'ils estimaient ni indécents ni dégradants, étaient dissimulés de façon à ne pas offenser les Popa'a. Seule était reconnue comme dégradante l'inversion des rôles, lorsque l'homme jouait le rôle du mahu.(...)

Dans son journal, James Morrison', second maître à bord et mutiné de la Bounty, relate son périple tahitien de 1788 à 1791. Il décrivait les mahu en ces termes

"Ils ont une catégorie d'hommes appelés mahu. Ces hommes sont semblables dans un certain sens aux eunuques des Indes, sans être toutefois castrés. Ils n'habitent jamais avec des femmes, mais vivent comme elles, ils s'épilent la barbe et s'habillent comme des femmes, dansent et chantent avec elles et ont une voix efféminée. Ils sont généralement experts dans l'art de faire des nattes, dans la peinture des tissus et en général dans tous les travaux de femmes. Sous cet aspect, ce sont des gens très estimés. On raconte, sans que j'aie pu le vérifier, qu'ils ont des rapports avec les hommes aussi facilement que les femmes. Toutefois je n'irai jusqu'à l'affirmer, car je n'ai jamais rencontré personne à qui cette perspective ne fût odieuse."

D'autres observateurs, lors de la découverte de Tahiti, confirmaient l'existence de mahu et relataient leurs moeurs sexuelles. Le très sérieux William Bligh, commandant de la Bounty, écrit:
"
En rendant visite ce matin à Tynah [Teina] et sa femme, je trouvai avec eux une personne qui bien que je fusse certain que c'était un homme, dégageait de telles marques de féminité que je décidai d'approfondir et de clarifier cette situation si particulière. Quand je demandai à Iddeah [Itia] qui c'était, elle me répondit sans aucune hésitation qu'il était un de ses amis et appartenait à une catégorie de gens appelé Mahu, communs à Tahiti, que les hommes avaient des contacts fréquents avec lui et qu'il vivait et mangeait avec les femmes en suivant les mêmes règles qu'elles.

La façon efféminée de parler de cet homme me conduisit à penser qu'il souffrait de castration et qu'il faisait des choses choquantes et contraires à la nature. J'eus bien quelques idées sur son comportement, qui semblait assez commun dans cette mer. je m'étais cependant complètement trompé dans mes hypothèses, sauf que des choses dégoûtantes étaient bien commises. Décidé comme je l'étais, je voulus disculper ces gens ou prouver qu'ils commettaient bien de tels crimes entre eux. J'avais à peine demandé à Tynah de m'informer, qu'une douzaine de gens ainsi que la personne ellemême, répondirent à toutes mes questions sans réserve, me racontant ce qu'étaient les Mahu.

Ces gens, me dit Tynah, sont spécialement sélectionnés quand ils sont encore garçons et laissés avec les femmes, uniquement pour les caresses des hommes. A cet instant, le jeune homme souleva sa cape pour me montrer son entrejambe. Il avait l'apparence d'une femme, sa verge et ses testicules étant tirés sous lui entre ses cuisses. Il les gardait dans cette position avec beaucoup de facilité. Ceux qui ont des rapports avec lui satisfont leur plaisir bestialement entre ses cuisses, mais tous nient fermement pratiquer la sodomie comprise comme un crime. En examinant ses parties intimes, je les trouvai très petites, particulièrement les testicules, pas plus gros que ceux
d'un garçon de cinq à six ans et très douces, comme altérées ou d'une totale incapacité à se développer, si bien que dans l'un ou
l'autre cas, il me paraissait comme effectivement être Eunuque, "as if bis stones were away. "''

Les femmes le considèrent du même sexe qu'elles. Il observe chacune de leurs restrictions et il est également respecté et estimé."

James Wilson, capitaine du Duff, le voilier anglais qui déposa les premiers missionnaires de la L.M.S., témoignait aussi de l'existence de mahu , :

Dans les différents districts de Tahiti, ily a des hommes qui s'habillent comme les femmes, qui participent à la fabrication des vêtements féminins et observent les mêmes tapu que les femmes. C'est-à-dire qu'ils ne peuvent pas manger en compagnie des hommes, la nourriture réservée aux hommes leur étant interdite. Ils n'ont pas accès aux cérémonies du marae. Le seul avantage qu'ils tirent de cet état social est qu'ils ne peuvent pas être désignés pour être sacrifiés comme victime, leur sexe était considéré comme impropre à cette cérémonie religieuse.(...) Les mahu vivaient comme des femmes.
Probablement que c'est une secte d'homosexuels ; ces pauvres païens sont tellement corrompus que les femmes ne méprisent même pas ce genre d'homme, elles se lient même d'amitié avec eux."

Ces narrations prouvent que les premiers voyageurs se faisaient souvent une idée fausse des mahu. Malgré une certaine imprécision, le mahu dont il est question dans le texte de Wilson est un domestique de Pomare II dont Iddyah est l'épouse'. Mark Eddowes confirme que les mahu vivaient "intimement" au contact des jeunes ari'i. Chaque chef, en fonction de son rang, en hébergeait un ou plusieurs. Des écrits missionnaires rapportent que les femmes de haut rang employaient des mahu comme domestiques. Des archives de la L.M.S. décrivent des situations où les jeunes chefs entretenaient des rapports sexuels avec leurs serviteurs mahu. Ces derniers tiraient un avantage certain de cettesituation : cette forme de domesticité au service des nobles était pour eux une promotion sociale et un gage de sécurité.

Dans le Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes n° 72, Paul I. Nordmann relate une anecdote amusante

"Commerson, naturaliste attaché à l'expédition de Bougainville, avait emmené une domestique nommée Jeanne Baret, déguisée en homme... Lorsqu'elle descendit à terre, les Tahitiens, très observateurs et experts en la matière, s'aperçurent de la mascarade et s'écrièrent : "Mahu teie" (c'est un mahu). La jeune femme perdit contenance et retourna à bord tête basse."

Après son voyage à Tahiti en 1804, John Turnbull, répondant à l'éditeur de la London Review"", donne des détails sur les pratiques sexuelles des mahu :
"Les hommes mettent leur pénis dans la bouche du malheureux et émettent leur semence, que le misérable ingurgite avidement, comme si elle transmettait la vigueur et la force de l'autre, pensant sans aucun doute retrouver une plus grande vitalité."


La plupart des descriptions indiquent que les mahu jouaient un rôle sexuel féminin/passif. Une lettre écrite en 1801 par un membre de la L.M.S. décrit un comportement actif. Elle confirme l'inversion des rôles entre un chef ari'i et son domestique mahu. Ce missionnaire notait :
"Le chef d'Hapy-ano [district de PapenooJ fut découvert en train de commettre un acte de bestialité avec un autre homme qui peutêtre n'avait même pas d'existence dans Sodome et Gomorrhe. (...) Le chef s'était allongé dans la pièce sur une étoffe appartenant à l'une de ses servantes, comme s'il voulait dormir... Nous allions dehors. (... ) Pas longtemps après, obligé de retourner pour quelque chose et entrant soudainement, il [un autre missionnaire] en vit suffisamment t pour s'assurer que la plus singulière et la plus horrible bestialité était commise (... ) le chef ayant dans sa bouche le sexe de l'autre. (... ) Les lubricités les plus contre-nature sont permises chez lesd Tahitiens, peut-être les excès les plus démesurés pratiqués parmis les pays ensoleillés. Sartan les tient dans ses bras d'une façon atroce et l'implantation de l'évangile sur cette îledoit se manifester d'une manière sûre et forte en montrant bien le pouvoir de la grâce de Dieu et en délivrant ces pêcheurs"

 
Après ce bref voyage dans le passé, revenons au vingt et unième siècle. Chose incroyable, deux siècles d'intolérance religieuse et de censure morale n'ont rien changé aux manifestations des instincts séculaires. Les habitudes restent fortement ancrées dans l'inconscient collectif. Aujourd'hui, il subsiste des anciennes coutumes, la langue bien sûr, l'adoption, la danse traditionnelle ainsi que les mahu... (...)

Sur l'île de Tahiti, les mahu se sont adaptés aux moeurs contemporaines et vivent discrètement. C'est dans les années soixante qu'on assiste à une transformation radicale de certains mahu en raerae ( prostitués). Il est important d'expliquer cette mutation, mais auparavant, intéressons nous aux mahu de l'après-guerre.

Observateur remarquable, Albert T'.Serstevens accumule pendant trois ans récits et histoires pittoresques sur le monde polynésien. Dans son livre Tahiti et sa couronne publié en 1949, il consacre un chapitre entier à la sexualité des Polynésiens en général et des mahu en particulier. Il illustre par un regard nouveau pour l'époque l'importance des mahu dans la communauté polynésienne contemporaine. Encore une fois, il convient d'insister sur l'intolérance de la société occidentale à l'égard des "homosexuels" durant ces années. La reconnaissance de l'identité de genre n'existe pas encore. On les appellealors des sodomites ou des pédérastes. Perçue comme une perversion,l'homosexualité se cache, refoulée par notre système social. Ce livre est
malheureusement épuisé et donc introuvable en librairie. Afin dedocumenter le lecteur, voici l'introduction du chapitre consacré aux mahu

Le mahu n'aurait rien de particulier à la Polynésie et se confondrait avec les invertis ou travestis du monde entier s'il n'avait dans les îles une place déterminée, faite de sympathie et même de
considération.
Ce n'est pas nécessairement un pédéraste ou un sodomite, bien qu'il soit parfois l'un ou l'autre ; c'est un homme chez qui prédomine la nature féminine, dans les goûts, l'aspect, la toilette, les
occupations.
Il n'y' a là, bien entendu, comme dans toutes les formes de la sexualité indigène, aucune perversité. Si le mahu n'est pas "normal",

au moins ne peut-on dire qu'il ne soit pas "naturel". Il naît mahu, il grandit mahu, il est mahu comme on est homme ou femme. . Nos habitudes et la morale qui en découle nous font réprouver cette prédisposition sexuelle. Le Polynésien, qui ne se soucie pas de morale, n'a aucune raison de condamner le mahu. Bien au contraire, le caractère exceptionnel du personnage, sa douceur, sa serviabilité, le font bénéficier de l'estime générale. Il arrive même qu'il soit assimilé à "l'inspiré" de l'ancien culte et considéré comme un porte-bonheur ou un fétiche.


Le psychiatre Robert Levy, qui vécut à Huahine juste avant l'implantation du C.E.P., observe un comportement intéressant. Il n'y a place que pour un mahu par village. A sa mort, un prétendant prend immédiatement sa place. Le mahu des îles semble donc être, au même titre que le tavana' et le pasteur, un des rôles du village. Il faut noter que l'expression "prétendant" sous-entend qu'il y a donc plusieurs mahu par village. Pour conclure ce paragraphe, je ne peux m'empêcher de citer à nouveau T.'Serstevens
Je ne pense pas avoir rencontré dans le monde race plus saine que la maorie, et tout ce que je dis et dirai encore de ses instincts sexuels ne tend qu'à lui rendre hommage.

(...)
Désormais Mahu et raerae se côtoient
. Ce qui surprend est la voix, toujours douce des mahus. Par rapport aux raerae qui ont une voix "arrangée", les mahu chantent juste. Durant leur jeunesse, ils participent souvent à la chorale paroissiale. Certains font même carrière dans la chanson locale.


Pour une majorité de Tahitiens, le mahu joue un rôle sexuel équivoque. Un grand nombre de personnes supposent qu'ils ont une activité sexuelle avec des hommes. D'autres disent que cela arriveoccasionnellement, les plus jeunes les prenant pour des pédés.
 Les Européens qui ne sont pas au courant des habitudes locales les assimilent à des "homos". Tous les mahu s'essaient aux relations homosexuelles, mais toujours avec une discrétion qui ne peut nuire à leur entourage. Leur comportement sexuel est généralement passif et ils ne se livrent pas encore à la prostitution. Au risque de choquer, j'ajouterai qu'ils aiment jouir de leur sexe masculin.

Certains jeunes Tahitiens (taure'are a) reconnaissent qu'ils ont des relations sexuelles avec eux. Ils justifient ces relations par le refus des filles, mahu ou raerae étant alors perçus comme une femme de remplacement. Cela se passe toujours discrètement. D'autres précisent qu'avec une fille, cela n'est pas satisfaisant, que la fellation est bien meilleure avec un mahu. Il avale le sexe à fond ; on peut lui pousser la tête très fort, ce qui donne un plaisir plus grand.
Ce qui surprend dans ce pays est la perception de la sexualité par les Tahitiens. Elle dépend moins que pour nous des genres masculin et féminin. La société polynésienne admettant historiquement la relation sexuelle avec un mahu, "l'interdit homosexuel" n'est pas ancré aussi fortement dans les esprits que chez les Occidentaux. Au cours de mon enquête, j'ai maintes fois observé la facilité avec laquelle de jeunes tahitiens s'adonnent incidemment à des rapports sexuels avec les "homos". Un comportement parfois déconcertant, voire incompréhensible pour un "hétéro" occidental.

A ce sujet, A. T'Serstevens précise
 Elle (ia circoncision) produit une croûte qui se détache d'elle même au bout d'une huitaine de jours (... ) et dans ce cas c'est une femme qui est chargée de faire tomber la croûte en initiant le
garçon [.. .)
Il arrive fréquemment que le garçonnet se trouve initié à des amours moins orthodoxes. "Ce n'est pas sans raison qu'on nomme plaisamment les jeunes garçons vahine mataeinaa -femme du district. Il n'est pas de vice qui n'ait sa place chez des hommes friands de toutes les formes de sexualité. "

Plus loin, parlant des plaisirs homosexuels, il précise : "On ne laisse voir aucune honte à ces divertissements singuliers [... ] Ce n'est aux yeux de l'indigène qu'une manifestation quelconque de l'instinct sexuel. Celle-ci n'est qu'une passade [... ] le jeune garçon en vient ou en revient bien vite à des méthodes plus naturelles à quoi le poussent un autre instinct, celui de la reproduction.

Une attitude nouvelle se manifeste depuis quelques décennies. Pour la plupart des mahu, la sodomie restait perçue comme un acte indigne. Avec l'arrivée des "homos" occidentaux ignorants des moeurs locales, ainsi qu'avec l'inondation du marché par les films pornographiques gays, l'homosexualité s'exerce comme partout ailleurs. Les mahu se font draguer et, par la force des choses, s'adaptent. A. T'Serstevens confirme des pratiques de sodomie entre mahu et Popa'a à la fin des années quarante. Concluant sur les pratiques homosexuelles des Tahitiens, il souligne : Ils ont des animaux la pureté naturelle et il y a des animaux sodomistes.
Comme les raerae, les mahu profitent de l'occasion : pour un verre, pour un cadeau ou pour un service. Auparavant, c'était avec un petit cadeau qu'il fallait les remercier, surtout pas d'argent, cela pouvait froisser leur amour propre.. Toutefois voir deux hommes se tenir par la main ou s'embrasser choque encore les Tahitiens. Même les raerae refusent ces contacts en public et se moquent alors ouvertement des "homos" occidentaux.

( extraits de François Bauer " Raerae de Tahiti - Rencontres du 3ème type editions Haere Po Tahiti 2002 )

 

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