Ce sont des pièces de tissu cousues selon la technique des appliqués-inversés. A partir d’un rectangle de base, les femmes  cousent différentes couches de tissus qu’elles ont découpées préalablement afin de laisser apparentes les couches inférieures formant ainsi un motif.

Les indiens Cunas expliquent l’origine de la mola par un mythe :



Les molas viennent du kalu Tuipis.
C’était un lieu dangereux,
où vivaient les spécialistes des ciseaux…
Elles étaient de très belles femmes.
Dans ce kalu nul homme ne pouvait entrer,
Même chaman.
Lorsque l’un s’en approchait, l’une sortait.
Elle le séduisait, elle en faisait son mari,
Puis elle le renvoyait sans qu’il ait pu passer.


Alors on délégua Olonaguelidi, la sœur d’un chaman, un nele.
Elle put pénétrer dans le kalu Tuipis.
Elle entra, elle regarda.
Elle vit la première les maîtresses des arbres,
Pareilles à des femmes.
Elle vit la première ce lieu couvert de figures,
De signes changeants, tels les nuages du ciel,
De feuillages, de troncs, de pierres
Qui semblaient être purs dessins et écritures.
Elle vit la première les dessins des molas.
Elle vit des femmes qui coupaient,
D’autres qui cousaient.
Il y avait une table, de grands tissus.

De retour Olonaguedili compta à ses enfants :
Les dessins sont faits ainsi, dit-elle,
Le tissu se coupe comme ceci, se coud comme cela…
Les femmes l’interrogeaient…
Elle apprit ainsi dans la quatrième couche.
Avant les femmes s’habillaient de feuilles.


(conté par E. G., Mulatupu, “ l’île de l’urubu ”, 1994)

 

 


Il  y a un symbolisme implicite lié à la confection de la mola et on peut mettre en rapport leur technique de superposition de tissus avec la conception du monde des Kunas qui serait composé de 8 couches.


La terre a plusieurs couches, plusieurs pilli.
En chacune vivent des esprits et leurs maîtres.
Seul le chamane peut les visiter.
Dans la deuxième, il voit les choses d’ici,
Sauf les montagnes, qui sont moins hautes.
La troisième couche aussi est comme ici,
sauf le paysage, qui est plat.
Mais les chamanes ne peuvent pas aller plus loin.
Seuls ceux d’antan ont pénétré la quatrième couche.
Au-delà des huit couches,
il y aurait un autre monde.


(D’après E. Nördenskiöld )




On peut remarquer aussi  une forte compacité du graphisme du au fait que le fond ou les figures principales sont toujours très remplis. Ces motifs de remplissage assurent une fonction technique d’unification des différentes couches. En outre, cette caractéristique rappelle l’organisation spatiale des maisons dans les villages, mais aussi les structures des chants chamaniques. Ceux-ci bannissent tout silence ; à peine un chanteur finit-il un couplet qu’un autre enchaîne.
Les molas ne permettent pas non plus l’espace vide. Il pourrait donc y avoir une relation sous-jacente entre les chants chamaniques et les molas. ...une véritable méditation graphique en quelque sorte...

 



 Michel PERRIN un grand anthropologue nous dit que : « Les hommes kuna sont passionnés de paroles, les femmes de couture. Les premiers se réservent les pouvoirs religieux et politiques, ils s’approprient le rituel et les symboles, dont certains sont les experts. Cela a sûrement contribué au développement de l’art des molas.
Tout se passe comme si l’autorité masculine avait laissé aux femmes un espace de liberté créatrice […]

Ce qui est sûr c'est que chez les Cunas les femmes gouvernent et s'occupent de tout...les hommes eux règnent , devisent dans des réunions de Sahilas sur les affaires générales  et du monde .. auxquels se mêlent les chants traditionnels et l'évocation des mythes anciens ...
Titus qui a pu assister à ces réunions vous racontera...


Inversement, la passion féminine pour la création et la confection des molas a certainement stimulé l’art verbal des hommes qui s'exerce au cours des réunions de Sahila, et qui lui-même inspire l’œuvre des femmes. L’existence même d’un mythe d’origine des molas […] témoigne de cette complémentarité cachée. »

 



Dès le départ, les molas présentent une forme duelle puisqu’elles vont toujours par paire : l’une est cousue à l’avant du corsage et l’autre à l’arrière.
Pour chaque paire, on note souvent une certaine complémentarité mais une mola n’est jamais reproduite à l’identique.
 Cette complémentarité peut se retrouver dans les thèmes, les formes ou les couleurs. Par exemple, il y aura complémentarité des thèmes si un homme est représenté sur une mola et une femme sur l’autre. Un même sujet peut être repris sur la paire mais sa position ou sa forme aura changé. Enfin, il existe une technique d’inversion des couleurs qui permet de conserver le motif. Une mola à fond rouge et motif noir deviendra une mola à fond noir et motif rouge.

 


 


On peut rapprocher le résultat obtenu avec une forme du langage cuna. Ceux-ci donnent à divers animaux et plantes deux noms différents, l’un pour le jour et l’autre pour la nuit. Toutes ces dualités sont à mettre en relation avec leur conception dualiste du monde : le visible et l’invisible. Il en va de même pour leur conception de l’âme, chaque être a un double immatériel. C’est leur essence cachée, leur principe vital, leur purba. Ce principe de dualité imprègne à ce point leur vie que dans les cérémonies les officiants sont toujours par deux.
Cette conception duelle du monde s’immisce dans tous les domaines de la vie cuna et notamment dans leur mola.

 



De tout temps, la symétrie a attiré l’homme car elle renvoie à lui-même. Le simple terme de miroir en est une métaphore frappante. En effet, que ce soit dans le sens de l’objet lui-même ou dans un sens plus mathématique, le miroir dédouble l’objet, l’homme…Dans cette optique elle exprime la dualité.



Les molas géométriques présentent essentiellement des symétries. Ceci symbolise sans doute le mode de pensée cuna dont nous avons parlé plus haut.
 De plus, elle pourrait représenter l’idée de métamorphose que l’on retrouve dans la cosmologie cuna : tout être ordinaire peut se transformer en démon et inversement. Pour exprimer les être du monde-autre, les esprits pathogènes ou les démons, les couseuses cunas utilisent un sujet qu’elles dédoublent grâce à un axe de symétrie.
 Ce genre de motif s’utilise fréquemment.

 

 

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