Derrière notre îlot il y a un abri des plus sûr...
Dans les Mémoires d'un visage pâle, un
vieux chef indien déclare que tous les malheurs des hommes blancs viendront de
ce qu'ils construisent des maisons de n'importe quelle forme et qu'ils ne savent
plus habiter dans un cercle.
Si on me demandait : « Allez, dites en une phrase, une seule,
la mer, qu'est-ce que c'est pour vous ? »,
je crois que je répondrais : « C'est un cercle. »
Ou pour être plus précis, technique : « La mer, c'est 360° d'horizon. »
Dans toute longue traversée, c'est ce qui frappe d'abord et la première
impression, qui est la bonne, se retrouve être aussi la dernière : le sentiment
physique, parfois jusqu'à l'oppression, du cercle absolu, sans faille,
mathématique, qui. vous entoure 24 heures sur 24 et se déplace avec vous.
C'est ce qui fait que la longue traversée n'a rien à voir, mais rien à
voir avec la régate ou la
croisière.
Dans toute évocation magique, l'opérateur commence par tracer un cercle.
Seule la longue traversée est magique.
Seule, elle est création d'un monde.
Pour l'homme seul, à mains nues,
être au milieu de la mer est comme être chaque jour le centre d'une
planète,
d'un univers pour la première fois entièrement décrit et parfaitement
visible,
chaque jour inventé,
chaque jour nouveau ;
et pourtant le temps n'existe plus
comme nous le connaissons à terre,
il ne s'écoule plus
c'est seulement l'espace qui se déplace,
et un cercle,
à la limite de l'eau et du ciel, qui, sans cesse, insensiblement, jour
après jour, prend la place d'un autre.
D'aucuns s'en grisent et y respirent un air de puissance et de liberté.
Peut-être parce que c'était ce qu'ils cherchaient.
D'autres, qui avaient sans doute davantage besoin de lois, y trouveront surtout une discipline.
Toute longue navigation est d'abord une circumnavigation autour de soi même
. Naviguer en haute mer, c'est recréer un
monde, son monde.
Il n'y a que lui et vous.
Et si vous êtes au centre du cercle,
c'est lui qui vous entoure,
qui vous enferme,
et c'est à lui en fin de compte que vous appartenez.
Miroir circulaire à l'échelle du ciel et de la mer qui vous renvoie votre image et que vous devez traverser.
A bord, chaque instant et chaque détail comptent :
border une voile, prendre un ris, changer de foc, tenir la barre, modifier le
cap, manger, boire, chanter, dormir.
Il n'y a plus ni faux-semblant, ni temps vague ou, comme on dit, « perdu
».
Vous faites seul votre route,
vivre ou parfois survivre est votre affaire,
l'affaire de chaque geste et de chaque moment comme de toute la vie à bord
qui, elle, ne se divise pas.
C'est le maximum possible d'attention et de responsabilité personnelle au sein
d'un monde qui est celui du maximum possible de règles.
Ce cercle des éléments qui vous entourent et où vous vous êtes délibérément
placé ne dépend en rien de vous.
Ses lois s'imposent quand elles n'écrasent pas,
et la plupart vous sont incompréhensibles.
De quel coup de vent passé à 3000
milles d'ici est née cette houle qui vient mourir à votre bord ?
à moins qu'elle n'annonce au contraire le coup de vent à venir?
Quelle nébuleuse, quel équilibre des
planètes, quelle origine des mondes a fait ce nuage qui passe ?, signe de beau
ou de mauvais temps inscrit depuis toujours dans l'alternance des cyclones et
des anticyclones ?
La brise qui adonne ou refuse, la mer qui se calme ou se lève et se
déchaîne, tout dépend d'un mouvement du ciel et de la terre né avec la première
aube
et qui ne finira qu'avec le dernier soir.
Il n'y a rien de plus stupide et de plus dérisoire que ceux qui, à propos de la
voile, et de la voile en haute mer, parlent d' « évasion » comme le feraient des
dépliants publicitaires.
Être en mer, c'est le contraire d'une évasion.
Monde clos dans un monde parfait, tout
bateau est une prison.
Mais le prisonnier peut aussi dire « ma » prison.
Toute solitude est une liberté et toute solitude est une prison.
Toute puissance est une liberté et toute puissance est une prison.
Autour de vous le cercle du ciel
recoupe le cercle de la mer sur 360 degrés.
Voici le monde qui vous entoure, créé seulement pour vous et par vous :
joie, puissance, orgueil, amitié.
Vous voici, vous qui l'avez choisi, et
vous n'êtes plus que vents, courants, houle, mer changeante, labour sans sillon
et vagues qui inlassablement se poursuivent;
sans passé, sans attaches, sans désirs,
sans trace durable derrière vous ;
un peu de cette crête qui écume et
mousse autour de vous,
avant qu'une autre crête ne l'efface en s'écroulant.
( Jean -François Deniau : La mer est ronde, folio édit )
Le bureau de poste- cybercafé avec terrasse de Titus
Samedi 30 Septembre
L'équipage est à terre, nos animaux aussi ... et Chtimi le petit singe de Nat fait la joie des enfants de l'île
Le Kalliste sagement à l'encre se balance avec délice dans des eaux déjà reconnues... et votre serviteur attablé sur la terrasse ombragée du bureau de poste contemple cette paix en rêvassant devant un Pastis...
Comme vous l'a dit Jess
hier le Kalliste s'est senti des ailes..;et nous avons doublé vers 12 heures le
petit cap...qui cache le port lové au creux de la montagne-ancien volcan...
Nous avons manœuvré entièrement à la voile... et j'ai laissé les enfants se débrouiller
seuls pour le mouillage... me contentant pour une fois d'obéir aux ordres du
second... qui désormais comme un vieux loup de mer assura un mouillage sans
faille et l'envoi des couleurs : pavillon national à l'arrière... les couleurs
de l'Espagne à tribord sur le mat suivi du
pavillon jaune ( Q) pour indiquer qu'en transit nous demandions la libre
utilisation du port...
à bâbord nos couleurs ... celles du Kalliste dont nous sommes si fier ...et de
la séroposivité de l'équipage ! ( quand je pense qu'aux USA, au Canada en Russie
et en Corée du Sud on refuse l'entrée du territoire aux séropo déclarés !)
à quoi bon s'embarrasser de verbiage... dans la marine tout est compris en
quelques mouvements de coudes et ondulations d'étoffes
C'est fou ce que les
gosses ont pris d'assurance et ont mûri en quelques semaines : Jess devenu
un petit homme et demeurant le compagnon idéal ...pour quelques années encore...
? car ensuite
je sais et c'est bien naturel qu'il suivra sa voie... celle de la liberté et de
la solitude quand je ne pourrai plus le suivre...
et Nat de petit garçon encore enjuponné a pris de l'assurance et nous nous
entendons de mieux en mieux ... Certes j'appréhende un peu les retrouvailles avec sa mère...qui heureusement elle aussi a changé aux dires de Soeur Nicole... et est
bien adapté à la laure où elle rend de grands services... et comprend que son
garçon a besoin de liberté et que l'école n'est pas tout... la vie s'apprend
ailleurs... quoi qu'en dise les dirigeants en manque d'idées et aux esprits
étroits
mais l'autorisera-t-elle à nous suivre dans les grandes aventures que nous préparons...en
tous cas nous ne les concevons plus sans Nat et je compte sur
l'habileté de Jess pour la convaincre
Nous avons déjeuné d'une
somptueuse paëla au poulet ...ça faisait bien longtemps que l'on avait pas mangé
un si bon plat... le tout arrosé d'un vin léger... et d'un dessert aux
pomelos...on a fait le plein de vitamines... et puis le fromage blanc... on
avait presque oublié !
Chtimi n'a pas été en reste se gavant de bananes... quand à Igor il ne
savait où donner du chicot dans une assiettée d'os apporté gentiment par le
patron...
Nous avons été reçus en
roi par les habitats qui nous on dit que les valeureux reviennent toujours
içi...et que c'est bien mieux qu'aux Açores...
et la maison de José et à notre disposition
Les gosses sont partis Jess en solitaire comme d'habitude avec son carnet de croquis..et Nat en vélo avec ses copains de l'île je ne les reverrai pas avant ce soir...nous avons aussi tous besoin de solitude
En principe nous restons
jusqu'à Lundi...peut-être plus , tout dépendra de la forme de chacun et de la
météo...et rien nous presse.. .d'autant que d'ici je peux régler les
affaires d'internet et répondre au courrier mieux que sur le bateau
en tous cas c'est moi qui vous contacterai demain encore...
passez un bon début de WE
ff+
Que voulez-vous faire maintenant ?